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tenir une garnison, et ils veillaient avec soin sur cette île. C’était pour eux un port où abordaient les marchands d’Égypte et de Libye : d’ailleurs elle garantissait la Laconie des pirates, du seul côté par où ils pussent l’infester ; car elle s’étend sur la mer de Sicile et sur celle de Crète.

LIV. Les Athéniens y prirent terre, et avec dix vaisseaux et deux mille hoplites de Milet, ils emportèrent une ville nommée Scandie, située sur le bord de la mer. Le reste de l’armée descendit dans la partie de l’île qui regarde Malée, marcha contre la ville de Cythère, bâtie sur la côte, et trouva tous les habitans en armes. Ou combattit ; les Cythéréens tinrent peu, et bientôt mis en fuite, ils se réfugièrent dans la ville haute. Là ils capitulèrent avec Nicias et ses collègues, se remettant à la discrétion des Athéniens, sous la seule condition d’avoir la vie sauve. Nicias avait commencé par s’établir des intelligences avec les habitans : aussi fut-on plus tôt d’accord sur les articles du traité qui concernaient le présent et l’avenir, et n’y eut-il d’exportés des habitans de Cythère que ceux qui étaient Lacédémoniens ; ce qui était indispensable, l’île étant si voisine de la Laconie.

Après cette capitulation, les Athéniens, maîtres de Scandie, place sitùée sur le port, et ayant mis garnison à Cythère, firent voile pour Asiné, Hélos, et la plupart des lieux maritimes : ils descendirent, et s’arrêtèrent où l’occasion le demandait, et ravagèrent le pays pendant environ sept jours.

LV. Ls Lacédémoniens qui voyaient les Athéniens maîtres de Cythère, et qui s’attendaient à de semblables descentes dans leur pays, ne se présentèrent nulle part en force contre eux ; ils se contentèrent d’envoyer des gros d’hoplites garder la campagne, dans les endroits où cette précaution était nécessaire : d’ailleurs, ils se tenaient scrupuleusement sur leurs gardes. Après les maux cruels et inattendus qu’ils avaient éprouvés à Sphactérie, la perte de Pylos et de Cythère, et au milieu d’une guerre subite et imprévue qui les frappait de toutes parts, ils craignaient quelque révolution dans leur gouvernement. Contre leur usage, ils formèrent on corps de quatre cents hommes de cavalerie, et levèrent des archers. Ils montraient plus d’hésitation que jamais à former des projets militaires, qu’il faudrait soutenir par des combats maritimes ; sorte de guerre dont ils n’avaient pas l’habitude ; et encore contre les Athéniens, peuple qui croyait trahir ses justes espérances, s’il ne formait pas sans cesse des entreprises nouvelles. Les coups de la fortune qu’ils avaient éprouvés en si grand nombre, en si peu de temps, et contre toute attente, les plongeaient dans le plus grand abattement. Ils craignaient qu’il ne leur survînt encore quelque désastre, tel que celui de Sphactérie ; cette pensée les rendait plus timides à combattre ; ils ne pouvaient se remuer sans croire qu’ils faisaient une faute, devenus craintifs et irrésolus parce qu’ils n’avaient pas l’habitude du malheur.

LVI. Ils se tinrent généralement en repos, pendant que les Athéniens dévastaient leurs campagnes maritimes ; chaque garnison, quand il se faisait une descente dans le voisinage, croyait n’être pas assez nombreuse, et l’esprit public était alors de ne rien hasarder. Une seule qui osa se défendre vers Cortys et Aphrodisia, fondit sur un corps de troupes légères qui se tenait dispersé, et le mit en fuite ; mais reçue par les hoplites, elle se retira ; elle perdit quelques hommes, dont les armes restèrent aux ennemis. Les Athéniens élevèrent un trophée, et retournèrent à Cythère, d’où ils se portèrent à Épidaure-Limera. Ils ravagèrent une partie de la campagne, et arrivèrent à Thyrée, place dépendante de la contrée qu’on appelle Cynurie, et qui sépare de la Laconie le pays d’Argos. Les Lacédémoniens, à qui elle appartenait, l’avaient donnée aux Éginètes chassés de leur patrie : c’était une récompense des services qu’ils en avaient reçus dans le temps du tremblement de terre et de la révolte des Hilotes, et une marque de reconnaissance de ce que, sujets d’Athènes, ils n’en avaient pas été moins constamment opposés aux desseins de cette république.

LVII. À l’approche des Athéniens, les Éginètes abandonnèrent les fortifications qu’ils étaient alors occupés à construire sur le bord de la mer, et se retirèrent dans leur ville haute, qui en était éloignée à peu près de dix stades[1]. Une garnison lacédémonienne, qui était dans le pays, et qui les avait aidés à se fortifier, refusa, malgré leurs prières, d’entrer dans leurs murs, reconnaissant qu’il y aurait du danger à s’y renfermer. Elle se

  1. Un peu moins d’un tiers de lieue.