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mun, avec Pachès et son armée, que les Athéniens seraient maîtres de prendre sur les habitans de Mitylène toutes les résolutions qu’ils voudraient ; que ceux-ci ouvriraient à l’armée les portes de la ville ; qu’ils enverraient à Athènes des députés pour y ménager leurs intérêts, et que, jusqu’à leur retour, Pachès ne mettrait aucun Mitylénien dans les fers, ne le réduirait en esclavage, ne lui ferait donner la mort. Telle fut la convention. Ceux qui avaient le plus favorisé Lacédémone, frappés de crainte à l’entrée des ennemis, ne se fièrent pas au traité, et allèrent s’asseoir au pied des autels. Pachès les fit relever, et les mit en dépôt à Ténédos, où il ne devait leur être fait aucun mal, jusqu’à ce que les Athéniens eussent pris une résolution. Il envoya des trirèmes à Antisse, s’en rendit maître, et mit dans l’armée l’ordre qu’il jugea nécessaire.

XXIX. Cependant les Péloponnésiens des quarante vaisseaux, qui devaient faire diligence, avaient perdu du temps autour du Péloponnèse et fait lentement le reste de la traversée. Ils étaient à Délos avant qu’Athènes eût rien su de leur expédition ; ils en étaient partis et se trouvaient à Icare et à Mycone quand ils apprirent que Mitylène était rendue. Pour se mieux assurer de la vérité ils gagnèrent Embate d’Érythrée, où ils se trouvèrent sept jours environ après la reddition de la place. Parfaitement instruits de l’état des choses, ils délibérèrent sur ce qu’exigeaient les circonstances, et Teutiaple d’Élée parla ainsi :

XXX. « Alcidas, et vous Péloponnésiens qui partagez avec moi le commandement de l’armée, mon avis est de cingler vers Mitylène, sans plus de délai, avant qu’on y ait entendu parler de nous. Nous y trouverons, sans doute, un fort mauvais état de défense, comme dans une ville dont on ne fait que de prendre possession. C’est surtout du côté de la mer qu’on sera le moins sur ses gardes, parce qu’on est loin de s’attendre à voir arriver par-là des ennemis ; et c’est précisément de ce côté que nous avons une force redoutable. Sans doute aussi les troupes sont dispersées négligemment dans les maisons, parce qu’elles se fient sur leur victoire. Si donc nous profitons de la nuit pour les surprendre, j’espère qu’avec le secours de ce qui peut nous rester encore fidèle dans la place, nous nous saisirons de l’autorité. N’hésitons pas à faire cette tentative, persuadés que voilà, s’il en fut jamais, une des occasions qu’il faut saisir dans la guerre, et que le général qui se tient sur ses gardes, qui observe ce qui se passe chez l’ennemi, et qui en profite pour l’attaquer, réussira dans la plupart de ses entreprises.

XXXI. Il ne put amener Alcidas à être de son avis. Des exilés d’Ionie et des Lesbiens qui étaient sur la flotte lui conseillèrent, puisque l’on craignait de tenter ce hasard, de prendre quelque ville de l’Ionie, ou Cume en Æolie, ajoutant qu’ainsi l’on aurait une ville qui serait un point de départ pour exciter l’Ionie à la défection ; qu’on pouvait espérer de réussir ; que personne ne serait fâché de les voir arriver ; qu’en enlevant aux Athéniens cette principale source de leurs revenus, et en les obligeant à de la dépense pour rester en station près de la côte, il espérait engager Pissuthenès à joindre ses armes aux leurs. Alcidas ne se rangea pas non plus de cet avis : son intention était surtout de regagner au plus tôt le Péloponnèse, puisqu’on était arrivé trop tard à Mitylène.

XXXII. Il partit d’Embate, et relâchant à Myonèse, chez les Téiens, il fit égorger la plupart des prisonniers qu’il avait faits dans sa navigation. Pendant qu’il était à l’ancre devant Éphèse, des députés que lui envoyaient les Samiens d’Anæa vinrent le trouver, et lui dirent que c’était mal s’y prendre pour donner la liberté à la Grèce, que d’égorger des malheureux qui n’avaient pas été pris les armes à la main, qui n’étaient pas même des ennemis, mais qui se trouvaient par nécessité dans l’alliance d’Athènes ; que s’il ne changeait pas de conduite, il amènerait peu d’ennemis à son amitié, et changerait en ennemis un bien plus grand nombre de ses amis.

Il sentit la justesse de ces reproches, et renvoya tout ce qu’il avait entre les mains d’hommes de Chio et quelques autres de différens endroits ; car à la vue de ses vaisseaux, au lieu de fuir, on s’était approché, croyant que c’était une flotte athénienne. On était loin de penser que jamais, tant que les Athéniens auraient l’empire de la mer, des vaisseaux du Péloponnèse abordassent en Ionie.

XXXIII. Alcidas quitta précipitamment Éphèse, et sa navigation fut une fuite. Il avait été