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tretiens moi-même, suis allé jusqu’à risquer de leur en faire l’offre, elles ont toutes sans exception préféré d’emblée rester pauvres. Alors que mes concitoyens et concitoyennes se dévouent de tant de manières au bien de leurs semblables, j’estime qu’on peut laisser au moins quelqu’un à d’autres et moins compatissantes recherches. La charité comme toute autre chose réclame des dispositions particulières. Pour ce qui est de faire le bien, c’est une des professions au complet. En outre, j’en ai honnêtement fait l’essai, et, aussi étrange que cela puisse paraître, suis satisfait qu’elle ne convienne pas à mon tempérament. Il est probable que je ne m’écarterais pas sciemment et de propos délibéré de ma vocation particulière à faire le bien que la société requiert de moi, s’agît-il de sauver l’univers de l’anéantissement ; et je crois qu’une semblable, mais infiniment plus grande constance ailleurs, est tout ce qui le conserve aujourd’hui. Mais loin de ma pensée de m’interposer entre quiconque et son génie ; et à qui met tout son cœur, toute son âme, toute sa vie dans l’exécution de ce travail, que je décline, je dirai, Persévérez, dût le monde appeler cela faire le mal, comme fort vraisemblablement il l’appellera.

Je suis loin de supposer que mon cas en soit un spécial ; nul doute que nombre de mes lecteurs se défendraient de la même façon. Pour ce qui est de faire quelque chose – sans jurer que mes voisins déclareront cela bien – je n’hésite pas à dire que je serais un rude gaillard à louer ; mais pour ce qui en est de cela, c’est à mon employeur à s’en apercevoir. Le bien que je fais, au sens ordinaire du mot, doit être en dehors de mon sentier principal, et la plupart du temps tout inintentionnel. En pratique on dit, Commencez où vous êtes et tel que vous êtes, sans viser principalement à plus de mérite, et avec une bonté étudiée allez faisant le bien. Si je devais le moins du monde prêcher sur ce ton, je dirais plutôt, Appliquez-vous à être bon. Comme si le soleil s’arrêtait lorsqu’il a embrasé de ses feux là-haut la splendeur d’une lune ou d’une étoile de sixième grandeur, pour aller, tel un lutin domestique, risquer un œil à la fenêtre de chaque chaumière, faire des lunatiques, gâter les mets, et rendre les ténèbres visibles, au lieu d’accroître continûment sa chaleur comme sa bienfaisance naturelles jusqu’à en prendre un tel éclat qu’il n’est pas de mortel pour le regarder en face, et, alors, tourner autour du monde dans sa propre orbite, lui faisant du bien, ou plutôt, comme une philosophie plus vraie l’a découvert, le monde tournant autour de lui et en tirant du bien. Lorsque Phaéton, désireux de prouver sa céleste origine par sa bienfaisance, eut à lui le char du soleil un seul jour, et s’écarta du sentier battu, il brûla plusieurs groupes de maisons dans les rues basses du ciel, roussit la surface de la terre, dessécha toutes les sources, et fit le grand