Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus parlantes et plus intéressantes souvent qu’en été même, comme si la beauté n’en fût qu’aujourd’hui mûre ; jusqu’à la linaigrette, la massette, le bouillon blanc, le millepertuis, la spirée barbe, l’amourette, et autres plantes à tige forte, ces greniers inépuisés auxquels se régalent les premiers oiseaux, – habit décent, au moins, de la Nature veuve. Je me sens particulièrement attiré par le sommet ogival et en forme de gerbe du souchet ; il rappelle l’été à nos mémoires d’hiver, et compte parmi les formes que l’art aime à copier, qui dans le règne végétal ont avec les types déjà dans l’esprit de l’homme la même parenté que l’astronomie. C’est un style antique plus vieux que le grec ou l’égyptien. Maints phénomènes de l’Hiver sont suggestifs d’une indicible tendresse et d’une fragile délicatesse. Nous sommes accoutumés à entendre dépeindre ce roi comme un rude et furieux tyran, alors qu’avec toute la grâce d’un amoureux il adorne les tresses de l’Été.

À l’approche du printemps les écureuils rouges s’en venaient sous ma maison, deux à la fois, droit sous mes pieds, pendant que j’étais assis à lire ou à écrire, et entretenaient les plus étranges caquetage, pépiement, pirouettement vocal et bruits gargouillants que jamais on entendit ; frappais-je du pied qu’ils n’en pépiaient que plus fort, comme si au-dessus de toute crainte et de tout respect en leurs folles sarabandes, ils défiaient l’humanité de les arrêter. Non, vous n’y arriverez pas – chickaree – chickaree. Ils demeuraient absolument sourds à mes arguments, ou ne parvenaient pas à en comprendre la force, et se lançaient en une bordée d’invectives absolument irrésistible.

Le premier pinson de printemps ! L’année commençant avec un espoir plus jeune que jamais ! Les légers gazouillements argentins, entendus sur les champs en partie nus et humides de l’oiseau bleu, du pinson et de l’aile-rouge, tel le tintement en leur chute des derniers flocons de l’hiver ! Foin, en un tel moment, des histoires, chronologies, traditions, et toutes les révélations écrites ! Les ruisseaux chantent des cantiques et des refrains au printemps. Le busard glissant au ras du marais déjà se met en quête du premier réveil de vie limoneux. Le bruit d’affaissement de la neige fondante s’entend dans les moindres vallons, et la glace se dissout à vue d’œil dans les étangs. L’herbe flamboie sur les versants comme un feu printanier, – « et primitus oritur herba imbribus primoribus evocata »[1], – comme si la terre exhalait une chaleur intérieure pour saluer le retour du soleil ; non pas jaune mais verte est la couleur de sa flamme ; – symbole de perpétuelle jeunesse, le brin d’herbe, tel un long ruban vert, ondoie du

  1. Varron, De Re Rustica.