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landais, le Parisien et le Celte, le fermier et Robin Hood, Goody Blake et Harry Gill[1], dans presque toutes les parties du monde le prince et le paysan, le lettré et le sauvage, demandent encore également à la forêt quelques branches pour les chauffer et pour cuire leurs aliments. Non plus qu’eux ne m’en passerais-je.

Il n’est pas d’homme qui ne regarde son tas de bois avec une sorte d’amour. J’aimais avoir le mien devant ma fenêtre, et plus il y avait de copeaux, plus cela me rappelait de bonnes journées de travail. Je possédais une vieille hache que nul ne revendiquait, avec laquelle par moments les jours d’hiver, du côté ensoleillé de la maison, je m’amusais autour des souches que j’avais tirées de mon champ de haricots. Comme mon homme en charrette l’avait prophétisé le jour où je labourais, elles me chauffaient deux fois, d’abord lorsque je les fendais, ensuite lorsqu’elles étaient sur le feu, de sorte que nul combustible n’eût pu fournir plus de chaleur. Pour ce qui est de la hache, je reçus le conseil de la faire repasser par le forgeron du village ; mais je me passai de lui, et l’ayant munie d’un manche en noyer tiré des bois, la fis aller. Si elle était émoussée, du moins était-elle bien en main.

Quelques tronçons de pin gras constituaient un véritable trésor. Il est intéressant de se rappeler ce que recèlent encore de cet aliment du feu les entrailles de la terre. Les années précédentes j’étais allé souvent en chercheur d’or sur quelque versant dépouillé, jadis occupé par un bois de pitchpins, en extirper les racines de pin gras. Elles sont presque indestructibles. Des souches vieilles de trente ou quarante ans au moins, auront encore le cœur sain, alors que l’aubier aura passé à l’état de terre végétale, comme on le voit aux écailles de l’écorce épaisse qui forme un anneau à ras de terre, distant de quatre ou cinq pouces du cœur. Avec la hache et la pelle vous explorez cette mine, et suivez la réserve de moelle, jaune comme de la graisse de bœuf, ou comme si vous étiez tombé sur une veine d’or, enfoncée dans la terre. Mais en général j’allumais mon feu avec les feuilles mortes de la forêt, mises en réserve par moi sous mon hangar avant l’arrivée de la neige. L’hickory frais finement fendu fait l’allume-feu du bûcheron, lorsque ce dernier campe dans les bois. De temps en temps je m’en procurais un peu. Lorsque les villageois allumaient leurs feux par delà l’horizon, moi aussi je faisais savoir aux divers habitants sauvages de la vallée de Walden, grâce à la banderole de fumée qui sortait de ma cheminée, que je veillais —

Light-winged Smoke, Icarian bird,
Melting thy pinions in thy upward flight,

  1. Titre d’un poème de Wordsworth.