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sous la Présidence de Polk, cinq années avant l’adoption du Bill des Esclaves-Fugitifs de Webster[1].

Plus d’un « Turc » de village, bon tout au plus à donner la chasse à une tortue de vase dans un cellier aux provisions, exerçait ses membres lourds dans les bois, à l’insu de son maître, et flairait sans succès vieux terriers de renards comme vieux trous de marmottes ; conduit peut-être par quelque avorton de roquet en train d’enfiler prestement le bois, il pouvait encore inspirer une terreur naturelle à ses hôtes, – tantôt loin derrière son guide, aboyant, ce taureau de la gent canine, à quelque petit écureuil réfugié sur un arbre pour l’observer, tantôt s’en allant au galop, faisant ployer les buissons sous son poids, s’imaginant être sur la trace de quelque membre égaré de la famille des gerbilles. Une fois j’eus la surprise de voir un chat se promener le long de la rive pierreuse de l’étang, attendu que le chat s’écarte rarement si loin du logis. La surprise fut réciproque. Néanmoins le plus domestique des chats, qui aura passé sa vie couché sur un tapis, semble tout à fait chez lui dans les bois, et par ses façons rusées, furtives, s’y montre plus indigène que les habitants du cru. Une fois, en cueillant des baies, je fis dans les bois la rencontre d’une chatte et de ses chatons, absolument sauvages, qui tous, comme leur mère, firent le gros dos et jurèrent furieusement après moi. Quelques années avant que j’habitasse dans les bois il y avait ce qu’on appelle un « chat ailé » dans l’une des fermes de Lincoln tout près de l’étang, celle de Mr Gilian Baker. Lorsque je vins pour le voir en juin 1842, il était allé chasser dans les bois, selon sa coutume, mais sa maîtresse me raconta qu’il était arrivé dans le voisinage un peu plus d’une année auparavant, en avril, et qu’on avait fini par le prendre dans la maison ; qu’il était de couleur gris-brun foncé, avec une moucheture de blanc à la gorge, le bout des pattes blanc, et une grosse queue touffue comme un renard ; qu’en hiver sa fourrure se faisait épaisse et lui battait le long des flancs, formant des bandes de dix ou douze pouces de long sur deux et demi de large, et sous le menton comme un manchon, le dessus libre, le dessous tassé comme du feutre, pour, au printemps tout cet attirail tomber. On me donna une paire de ses « ailes », que je conserve encore. Elles ne portent pas apparence de membrane. Certains ont cru qu’il s’agissait soit de quelque chose se rapprochant de l’écureuil volant, soit de quelque autre animal sauvage, ce qui n’est pas impossible, attendu que, suivant les naturalistes, l’union de la martre et du chat domestique a produit des hybrides capables d’engendrer. C’eût été tout à fait l’es-

  1. Daniel Webster (1782-1852), homme d’État américain.