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usage, car ce sont toutes bêtes de somme, en un sens, faites pour porter une certaine part de nos pensées.

Les souris qui hantaient ma maison n’étaient pas les souris vulgaires, qui passent pour avoir été introduites dans le pays, mais une espèce sauvage, indigène, qu’on ne trouve pas dans le village. J’en envoyai un spécimen à un naturaliste distingué, et il l’intéressa fort. Dans le temps où je bâtissais, l’une d’elles tenait son nid sous la maison, et je n’avais pas posé le second plancher ni balayé les copeaux, qu’elle s’en venait régulièrement à l’heure du déjeuner ramasser les miettes tombées à mes pieds. Il est probable que jamais encore elle n’avait vu d’homme ; aussi ne tarda-t-elle pas à se familiariser tout à fait, courant sur mes chaussures, montant à mes vêtements. Elle gravissait sans difficulté les murs de la pièce par courts élans, comme un écureuil, à quoi elle ressemblait en ses gestes. Un beau jour, comme je me trouvais à demi couché, le coude sur le banc, elle courut sur mes vêtements supérieurs, le long de ma manche, fit et refit le tour du papier qui contenait mon dîner, tandis que je gardais ce dernier renfermé, et chercha à ruser, joua à cache-cache avec lui ; comme enfin je tenais immobile un morceau de fromage entre le pouce et l’index, elle vint le grignoter, assise dans ma main, après quoi se nettoya la figure et les pattes, telle une mouche, et s’en alla.

Un moucherolle bâtit bientôt dans mon hangar, et un merle[1] en quête de protection, dans un pin qui poussait contre la maison. En juin la gelinotte (Tetrao umbellus), si timide oiseau, fit passer sa couvée sous mes fenêtres, des bois de derrière au front de ma maison, gloussant et appelant ses petits comme une poule, en toutes ses façons d’agir se montrant la poule des bois. Les jeunes se dispersent soudain à votre approche, à un signal de la mère, comme balayés par quelque tourbillon, et affectant si bien la ressemblance de feuilles et de ramilles sèches, que maint voyageur a pu mettre le pied au milieu d’une couvée, entendre le bruissement d’ailes du vieil oiseau en fuite, ses rappels et son miaulement anxieux, ou le voir traîner les ailes pour attirer son attention, sans soupçonner leur voisinage. La mère parfois roulera et tournoiera devant vous en un tel déshabillé que vous vous demanderez un instant de quelle sorte de créature il s’agit. Les petits s’accroupissent muets et à ras de terre, souvent en se fourrant la tête sous une feuille, et s’inquiètent seulement des instructions que de loin leur donne leur mère, sans que votre approche les fasse courir de nouveau et se trahir. On peut même marcher dessus, ou avoir les yeux sur eux une minute sans les découvrir. Je les ai, à tel moment, tenus dans ma main ouverte sans qu’ils témoignassent d’autre

  1. Merle d’Amérique, différent du nôtre.