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de l’esprit State Street[1] et la suie de la machine. On propose de l’appeler « La Goutte de Dieu ».

J’ai dit que Walden n’a ni canal d’entrée ni canal de sortie visibles, mais il est d’une part relié au loin et indirectement à l’étang de Flint, qui est plus élevé, par un chapelet de petits étangs venant de ces parages, d’autre part directement et manifestement à la rivière de Concord, qui est plus bas, par un chapelet semblable d’étangs à travers lequel, en une autre période géologique, il se peut qu’il ait coulé, et par lequel un petit dragage, dont Dieu nous préserve ! suffirait pour le faire recouler. Si en vivant de la sorte discret et austère, comme un ermite dans les bois, des siècles et des siècles, il a acquis cette pureté merveilleuse, qui donc ne regretterait que les eaux comparativement impures de l’Étang de Flint se mêlent à lui, ou que lui-même aille jamais perdre sa suavité dans les eaux de l’océan ?


L’Étang de Flint, ou Étang Sableux, en Lincoln, notre plus grand lac et mer intérieure, repose à un mille environ est de Walden. Il est beaucoup plus grand, passant pour contenir cent quatre-vingt-dix-sept acres, et plus poissonneux ; mais il est peu profond en comparaison, et sa pureté n’a rien de remarquable. Une promenade par les bois jusque-là était souvent ma récréation. Cela en valait la peine, quand ce n’eût été que pour sentir le vent vous souffler franchement sur la joue et pour voir les vagues courir, qui vous rappelaient la vie du marin. J’y allais ramasser des châtaignes en automne, les jours de vent, où elles tombaient dans l’eau qui les rejetait à mes pieds ; et un jour que je me frayais ma route le long de ses bords couverts de roseaux, la face fouettée de fraîche écume, je rencontrai l’épave vermoulue d’un bateau, les flancs partis, et sans guère plus que l’empreinte de son fond plat laissée parmi les roseaux ; toutefois le modèle en restait-il nettement défini, tel une grande feuille de nénuphar avec ses nervures. C’était une épave tout aussi émouvante qu’on la saurait imaginer sur le rivage de la mer, et qui portait tout autant sa morale. C’est aujourd’hui simple terreau et rive d’étang que rien ne distingue, à travers quoi roseaux et iris ont poussé. J’aimais à admirer les rides laissées sur le fond de sable, à l’extrémité nord de cet étang, et que la pression de l’eau avait rendues fermes et dures sous le pied du pataugeur, ainsi que les roseaux qui poussaient en file indienne, en lignes ondoyantes, correspondant à ces rides, rang derrière rang, comme si ce fussent les vagues qui les eussent plantés. Là aussi j’ai trouvé, en quantités considérables, d’étranges pelotes, composées en apparence d’herbes fines

  1. La rue des banquiers et des agents de change de Boston.