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456 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARME

tout le mouvement symboliste, son décor d’art, de pein- ture, même de vêtement, si vite défraîchi, et vous saisi- rez, malgré les coupures, depuis l’Hôtel de Rambouillet, une certaine continuité. Rappelez-vous d’ailleurs-que le romantisme a relié sa tradition — il n’en eut conscience qu’assez tard — à l’époque Louis XIII, que Gautier était fondé à lui trouver des précurseurs dans les Grotesques, et que toute la comédie romantique, jusqu’à Cyrano, s’y rattache évidemment : bien des choses que Boileau croyait avoir enterrées sont reparues sur le chariot sym- bolique de Florise. Et si je ne puis y placer tout Mal- larmé, au moins, pour l’expliquer, en dois-je mettre au- tour de lui les fonds mouvants, comme le décor animé de ballet qui annonce et parfois commente son ode si- bylline.

Ainsi, dans sa fuite vers le précieux et le rare, il est pris tout de même par un rythme souple d’art français. Il en est l’extrémité, la pointe. On sait l’image qui le hanta : pointe extrême des arbres dans l’azur... Si j\,« Yoque la pointe défendue par la burlesque audace de Bergerac, qu’on ne voie pas là un jeu de mots, mais !a même association qui fonctionna chez les créateurs de la langue. La pointe est un rapprochement piquant — même observation — entre deux objets qui ne parais- sent pas liés naturellement. C’est une rime de la pensée. Les analogies inattendues qui font son tour d’esprit à Mallarmé sont bien proches de la pointe.

Il s’est enorgueilli — combien justement I — d’avoir « pratiqué le purisme ». Il y a mis une obstination et une subtilité de précieuse. Ninon appelait les précieuses les jansénistes de l’amour. La préciosité est aussi le jan- sénisme de la langue. Elle la recherche à des sources pre- mières, neuves, intactes. Mallarmé traite, par son exemple et par son œuvre la littérature facile comme les jansénistes traitaient la religion facile : deux mots qu’il est monstrueux d’accoupler. Il transposerait à la poésie le livre et les idées d’Amauld sur la Fréquente Communion. Le mélange incessant, autour de lui, de