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veillantdoutantvoulant
veillantdoutantvoulantbrillant et méditant
veillantdoutantvoulantbrillant et méditantavant de s’arrêter
veillantdoutantvoulantbà quelque point dernier qui le sacre
Toute pensée émet un Coup de dés.

La dernière ligne, authentique, comme une signature. Ces neuf pages aussi forment un coup de dés hardi que le poète a joué, avec quelque angoisse, sur une table d’art toute neuve. Est-ce le point dernier qui sacre tout son effort artistique ? Je n’oserais le dire, mais c’est l’extrême limite de ce que dans sa forme d’art il y avait de logique et (lui-même à la page III introduit le mot) de maniaque.

Logique d’un art visuel « Le livre expansion totale de la lettre, doit d’elle tirer, directement, une mobilité et spacieux, par correspondances, instituer un jeu, on ne sait, qui confirme la fiction [1]». Le jeu de lignes discontinues, dans Un Coup de Dés, confirme précisément par son aspect même, les fictions, les images : flots en tempête, plume qui se fixe et tombe, ciel noir semé d’étoiles. De ces artifices vit la poésie chinoise, combinant avec l’élément auditif des mots prononcés l’élément visuel des idéogrammes. Le sinologue Abel Rémusat affirme que, dans le récit chinois d’un déluge, les caractères, par leur forme, rendent sensible aux yeux cette pluie qui tombe.

Logique d’une esthétique de ballet, de mouvement, d’arabesque, qui fait de l’une à l’autre sortir, de l’une dans l’autre insensiblement rentrer, les images, — les blancs plus ou moins étendus représentant l’espace plus ou moins peuplé de la scène, le motif majeur en caractères forts figurant la danseuse principale, chaque page résumant pour la fête intérieure un tableau d’un ballet. La plume d'Un Coup de Dés est typique de cette danse figurée que rêva Mallarmé.

Logique d’un art formel, qui ne conçut guère dans

  1. Divagations, p. 276.