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424 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARMÉ

ces vers menus, les voiles, sur la page, glissent, comme sur la mer, au soir...

Quant au motif d’Un Coup de Dés, on pourrait pen- ser que l’inspiration première n’en vint pas à Mallarmé d’une page de Nietzsche. Il ne lisait pas l’allemand et de son vivant la traduction Henri Albert n’existait pas. Mais certainement il connut A travers l’œuvre de Fré- déric Nietzsche, extraits de tous les ouvrages par P. Lauterbach et A. Wagnon, petite anthologie en fran- çais qui parut en 1893, à la page 49 de laquelle je lis cet extrait de Zarathoustra :

« Si jamais je fus effleuré d’un souffle du souffle créa- teur et de cette divine nécessité qui force encore les Ha- sards à danser des rondes d’étoiles :

Si jamais j’ai ri du rire de l’éclair créateur, que suit le long tonnerre de l’acte, grondant, mais soumis :

Si jamais, jouant avec des dieux, j’ai jeté mes dés sur la table divine de la Terre, que la terre tremblante s’en ouvrit et vomit des torrents de feu : —

— Car c’est une table divine que la Terre, et qui tremble de nouvelles paroles créatrices et des coups de dés des dieux : —

Oh 1 Comment ne serais-je pas avide d’Éternité et du suprême anneau nuptial, — de l’anneau du Retour éter- nel ? »

Il semble d’abord que le motif du poème : Un coup de Dés jamais n’abolira le hasard I ait été jeté comme une réflexion amère en marge de ces lignes. Poème cri- tique, dit le poète... Néanmoins la publication posté- rieure d’Igitur nous montre que cette piste n’est pas la bonne, puisque dès 1869, Mallarmé était familier avec ces idées et ces images.

La Page formant, dans cette œuvre de Mallarmé, l’unité comme ailleurs le Vers, j’analyserai les neuf pages successives. Il serait bien nécessaire au lecteur d’avoir sous les yeux le texte publié dans Cosmopolis. J’en re- produirai au moins, avec la disposition de ses mots, la Page I..