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L’Idée platonicienne, forme dernière de ce réalisme verbal, de ce mysticisme des mots, apparaît à l’arrière-plan. Les rimes équivoques, prolongées sur trois et quatre syllabes, font porter, de façon presque funambulesque, l’accent lyrique sur les mots purs, superposent, intensifient, dans le même contour et le même son, les Idées et les fleurs qui les figurent.

Tel est le rêve de poésie nue, où, la main dans une main amie, s’exalte Mallarmé. Mais arrivée à ce sommet, la pensée va se replier, descendre, glisser vers quelque ironie souriante.

Stance IX. — Le sourire de l’aimée touche, comme d’un doigt une épaule, et reploie, cette éclosion. Nous fûmes deux, elle a compris, elle a vu, elle est entrée dans mon jardin solitaire, mais son regard ne s’est porté plus loin que sourire, — et voici que se précise le motif d’ironie tendre annoncé et enroulé déjà par les rimes trop opulentes, dents belles entre des lèvres pour le sourire ouvertes... Ce que j’ai cité plus haut d’une chronique de la Dernière Mode continue ainsi : « Parfois un sourire, accompagnant l’offre d’un volume par un ami, remplace tous commentaires de sa part (de la dame), tacite : et les grandes amitiés inoubliables de la vie naissent ordinairement de ce fait ». De Madame seule tu sais Qui, premier sourire sans doute, époque en l’existence du poète

Comme à l’entendre
J’occupe mon antique soin.

Sourire « sensé et tendre », qui m’a averti de quelque vanité dans mon rêve. Selon une variante, indiquée d’après un manuscrit par M. Edmond Gosse, Mallarmé avait d’abord écrit

Je mets mon exotique soin.

Le vers, moins agréable à l’oreille, tenait mieux aux stances précédentes, ramenant ce soin de la contrée fabuleuse d’iris où il se plaisait. Mallarmé a substitué