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Quand Maurice Scève écrivait ses sonnets à Délie, l’anagramme indiquait assez clairement en elle l’Idée. Toute maîtresse de poète est une Délie... Et c’est probablement du moyen âge et de Dante, de la Béatrice et de la Lucie du Paradis, que vient cet instinct de créer, comme Eve avec une côte de l’homme, une figure idéale avec une réalité, une figure vivante avec un rêve.

Stance IV. — Aussi, après cette dédicace, dans la vie peut-être, à « Madame seule tu sais Qui », ce qui suit est la Défense, sinon l’illustration, de la poésie mallarméenne.

Arnauld trouvait que la théorie de Malebranche sur l’étendue intelligible était fort peu intelligible. Mallarmé, dans les deux stances IV et V revendique l’intelligibilité du métaphysicien contre l’intelligibilité du logicien.

L’ère d’autorité, c’est à la fois la critique dogmatique et la poésie qu’elle préfère, celle de plein jour, de clarté crue, vide de réticence et d’allusion. Elle balbutie lorsqu’elle nie cette clarté supérieure, ce midi idéal de notre poésie : clarté non donnée, mais réalisée peu à peu, par notre patience ingénieuse, agile, souriante ; clarté du midi que tous deux, lecteur et poète, nous approfondissons de notre être, de nos puissances inconscientes, pour qu’il vibre en des lointains indéfiniment résonnants.

Stance V. — Des lueurs discontinues substituées à l’ampleur oratoire, des clartés locales émanées, sous la forme du mot suggestif, de chaque objet, substituées à la lumière impersonnelle d’atelier qu’est le développement logique, tel est l’art qu’a rêvé, tenté parfois de réaliser, Mallarmé.

De là l’image Sol de cent iris, qui indique ces lumières, ces mots. Sous leur éclat juxtaposé, le lien didactique, la clarté intellectuelle, disparaissent, demeurent sous-entendus. Peut-être si l’iris est ici choisi c’est que l’image se tient sur les confins de la fleur, de la pierre précieuse et de la prunelle vivante, — mais bien plus vraisemblablement il a surgi ici comme mot approprié, parce que beau.