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tacle de la rampe. « Vous avez à subir un sortilège, pour l’accomplissement de quoi ce n’est trop d’aucun moyen d’enchantement impliqué par la magie musicale, afin de violenter votre raison aux prises avec un simulacre, et d’emblée on proclame : « supposez que cela a eu lieu véritablement et que vous y êtes[1] ! ».

Au théâtre il ne doit exister, à des degrés et de manières différentes, que des acteurs. L’homme ne vient pas au théâtre pour consentir librement et par fiction à une illusion, il y doit venir pour entrer et vivre, tout entier, un temps, dans une vérité nouvelle. Ainsi un poème de Mallarmé est construit pour solliciter l’activité créatrice du lecteur et se développer par elle.

La musique sous l’ampleur et l’autorité de ses ondes mêle dans un brassage la scène et la foule. Mais qu’elle ne soit pas, comme dans l’opéra classique, alourdie de fioritures et de plaques, qu’elle n’interpose pas des conventions nouvelles et comme une rampe splendide ou un rideau de sons. Que, selon la révélation wagnérienne, l’afflux intérieur du sang et non le fard donne au visage sa fleur.

Autour du héros qui chez Wagner forme le centre du drame, s’agite le somptueux, l’infini décor des sons qui tantôt le prend dans « une ambiance de musique plus riche de rêverie que tout air d’ici-bas », tantôt précipite vers lui, pour l’enlever et le fondre, une vague démesurée de passion qui va « le soustraire à sa notion, perdue devant cet afflux surhumain, pour la lui faire ressaisir quand il domptera tout par le chant, jailli dans un déchirement de la pensée inspiratrice[2] ». Au monde musical où se manifeste le héros, participe l’assistance, dans « une stupeur mêlée d’intimité ». Et le public germanique, comme autrefois le public hellénique, vit sur la scène de Bayreuth avec des héros de sa race. Une patrie idéale, hors du temps, ici lui est recomposée.

  1. Divagations, p. 143.
  2. Divagations, p. 146.