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en formule quelque chose qui fût définitif ? Un architecte ? je songe à Vitruve. Un légiste ? à Domat. Un médecin ? à Galien. Et si Mallarmé ajoutait : un poète, je penserais à Boileau.

Le Livre idéal est pour lui le niveau de base de tout. Dans le pullulement du journal, il entrevoit la matière désordonnée d’où quelque distillation pourra tirer l’absolu du Livre,

Calices balançant la future fiole,

« L’intensité de la chauffe » en témoigne. Chauffe aussi du livre futur, l’essai poétique actuel, et ces symphonies qui lui paraissent, des gradins du concert, éclore pour s’incorporer au livre et présager la reprise, sur la musique, par le poète, de son bien. « Je me figure par un indéracinable sans doute préjugé d’écrivain, que rien ne demeurera sans être proféré. » Rien, pas même le plus subtil et l’inexprimable de la musique « car, ce n’est pas de sonorités élémentaires par les cuivres, les cordes, les bois, indéniablement mais de l’intellectuelle parole à son apogée que doit avec plénitude et évidence, résulter, en tant que l’ensemble des rapports existant dans tout, la Musique[1] ».

Et, comme la musique, tout écrit n’est que morceaux épars, balbutiements indéfinis et confusément superposés d’un Livre, le seul. « Plus ou moins, tous les livres contiennent la fusion de quelques redites comptées : même il n’en serait qu’un — au monde, sa loi — bible comme la simulent des nations. La différence, d’un ouvrage à un autre, offrant autant de leçons proposées dans un immense concours pour le texte véridique, entre les âges dits civilisés — ou lettrés[2]. »

Tout existe pour aboutir à un livre. « Les constellations s’initient à briller : comme je voudrais que parmi l’obscurité qui court sur l’aveugle troupeau, aussi des

  1. Divagations, p. 249.
  2. Divagations, p. 248.