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pace donné, ne se posent pas à son sujet les questions d’origine : « genre d’investigation... éludé, en fait, comme dangereux, par ceux-là qui, sommés d’une faculté, se ruèrent à son injonction ; craignant de la diminuer au clair de la réponse[1] ».

Mallarmé appelle la poésie, sous double aspect de Musique et de Lettres « le contexte évolutif de l’Idée[2] ». Obligé de déployer cette Idée dans le temps il sied que le vers ne le fasse qu’à contre-cœur et en réservant, comme sous-entendus, la protestation de l’essence. L’Idée intemporelle s’exprime mal en l’art des sons successifs. « Le vers par flèches jeté moins avec succession que presque simultanément pour l’idée, réduit la durée à une division spirituelle propre au sujet[3] ». La page, le livre, réalisent, comme le vers, un ordre idéal de coexistence, de simultanéité.

Nous retrouvons ici le courant d’idées, bien souvent rencontré, qui place Mallarmé à l’opposé du génie oratoire. La concision, la hantise du simultané, ont chez lui, pour limites, une juxtaposition à la chinoise : « Orage, lustral[4]. » Voilà une phrase : elle signifie que cet orage confus du mouvement littéraire auquel il se trouva mêlé laisse une atmosphère plus nette et plus pure. Ne concevrait-on pas ces deux mots comme deux caractères chinois ? Sa poésie qui tend, vers la fin, à des mots évocatoires juxtaposés sans grammaire, n’était-elle point contenue déjà dans ce souhait d’un jeune poème :

Imiter le Chinois au cœur limpide et fin ?

De même qu’en chinois l’écriture a une valeur propre, n’est pas seulement un signe du langage, de même l’esthétique d’Un Coup de Dés prend la page, l’appareil du Livre comme un élément de signification et de beauté.

  1. La Musique et les Lettres, p. 4.
  2. La Musique et les Lettres, p. 65.
  3. La Musique et les Lettres, p. 72.
  4. La Musique et les Lettres, p. 37.