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à avant, non à ombres ; l’écoulement de la transparence et la venue des ombres sont simultanées, donc pas de ponctuation, tandis que la virgule qui précédait avant disait au contraire succession.

« Ce qu’il voulait, ce survenu, en effet, je pense que sérieusement c’était : régner[1]. » Les deux points détachent, comme deux appariteurs, le vocable de commandement.

De sorte qu’en somme les particularités de sa ponctuation se relient aussi à son goût des rejets rythmiques et syntaxiques. Il lui demande, dans sa prose, le même office qu’au blanc après le vers, en cas de rejet : mettre en valeur, par une disjonction occasionnelle, également deux mots que mêlerait trop, les estompant, leur pur rapport grammatical.

Dans le médaillon d’Arthur Rimbaud : « L’anecdote, à bon marché, ne manque pas, le fil rompu d’une existence, en laissa choir dans les journaux : à quoi bon faire, centième, miroiter ces détails jusqu’à les enfiler en sauvages verroteries et composer le collier du roi nègre, que ce fut la plaisanterie, tard, de représenter, dans quelque peuplade inconnue, le poète[2]. » La virgule, inaccoutumée, après existence, doit accompagner, en sourdine, l’idée même, émise, de rupture, sorte de coup de ciseau sur le fil. À la ligne suivante, au contraire, une continuité qui convient à l’image de mise en rang sur un fil. Et, au dernier mot, selon l’habitude de Mallarmé, isolé et en valeur, médaillon qui pend du collier, le substantif capital.

Non seulement, chez Mallarmé, la place de la ponctuation est originale, mais sa matière aussi. Les blancs, qui forment la ponctuation naturelle du vers, paraissent comme la ponctuation occasionnelle de la prose. Les pages d’Un coup de Dés mènent vers un étrange absolu logique cette recherche de Mallarmé. Du tiret, qui figure

  1. Divagations, p. 68.
  2. Divagations, p. 84.