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effort au style il y a versification[1]. » Et ailleurs : « Toute prose d’écrivain fastueux, soustraite à ce laisser-aller en usage, ornementale, vaut en tant qu’un vers rompu, jouant avec ses timbres et encore les rimes dissimulées[2]. »

Dans la question du vers libre, Mallarmé tient le rôle d’un modéré clairvoyant, intelligent. Ces raisons de la crise poétique que j’ai essayé d’énumérer, il les aperçut presque toutes avec une grande lucidité. Surtout il insista sur celle qui est bien en effet la capitale : la prépondérance de l’oreille et l’insinuation de la musique. Cependant, il ne cessa de regarder le problème avec les yeux d’un Parnassien.

Comme des parents, dans un cortège d’enfants, suivent du regard le leur et ne voient que lui, Mallarmé, dans le mouvement du vers libre, envisagea l’alexandrin, et tout en fonction de l’alexandrin.

Il résume en huit lignes, d’une brièveté définitive, avec le procès de la métrique classique, la précellence de l’alexandrin dont il use : « Cette prosodie, règles si brèves, intraitable d’autant : elle notifie tel acte de prudence, dont l’hémistiche, et statue du moindre effort pour simuler la versification, à la manière des codes selon quoi s’abstenir de voler est la condition par exemple de droiture. Juste ce qu’il n’importe d’apprendre : comme ne pas l’avoir deviné par soi et d’abord établit l’inutilité de s’y contraindre.

« Les fidèles à l’alexandrin, notre hexamètre, desser-

  1. Enquête de Jules Huret p. 57.
    « C’est trop dire ou pas assez, écrit M. Robert de Souza. Cela prête à des confusions dangereuses pour l’art de la composition rythmique dont les multiples états n’existent qu’en détruisant la virtualité de la prose. Lorsque je disais dans Où nous en sommes : « Le vers libre est la parole même dans toute sa force d’origine », je voulais dire : « est l’expression verbale ramenée au plus près de l’émotion physiologique primitive et de son mouvement naturel, avant toute détermination de la langue et de ses formes générales, prose, vers. » (Phalange, n° 56).
  2. La Musique et les Lettres, p. 34.