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taura le vers énoncé seul sans participation d’un souffle préalable chez le lecteur ou mû par la vertu de la place et de la dimension des mots. » Mais ce mécanisme achevé évolua à vide « selon des bruits perçus de volant et de courroie, trop immédiats ». Ce sont ces bruits qui nous fatiguent depuis que la perfection banale de l’alexandrin court les rues. Et surtout, matérialiste dans son principe, il eut « la prétention d’enfermer, en l’expression, la matière des objets ». Le vers parnassien était donc devenu une sorte de borne dure à dépasser. Mais le Parnasse lui-même est une province de l’empire hugolien, et Mallarmé marque avec justesse que la plénitude de l’alexandrin ayant été réalisée par Hugo, après lui il fallait autre chose. Alors « toute la langue, ajustée à la métrique, y recouvrant ses coupes vitales, s’évade, selon une libre disjonction aux mille éléments simples… La variation date de là : quoique, en dessous et d’avance, inopinément préparée par Verlaine, si fluide, revenu à de primitives appellations[1] ».

C’est justement que Mallarmé note en Verlaine, dans le Parnasse même, la direction d’affranchissement et de renouveau. Mais il ne cite pas, au même propos, un autre Parnassien qui fut lui-même. Seul, comme Verlaine et en même temps que lui, il assouplit la technique parnassienne par un emploi original et subtil du rejet et du surjet.

Dépourvu du génie oratoire, constituant sa poésie contre lui, ayant d’autre part l’imagination du mouvement, il a demandé aux ressources propres du vers la figure de ce mouvement. J’ai cité plus haut, sur la rime, un passage caractéristique, la rime « prenant », « rejetant » le métal du vers. Le « rejet » et le surjet, sortes de pentes sous une eau courante, continuent et confirment cet office, redoublent et dispersent dans le vers l’élément moteur de la rime, comme l’assonance et l’allitération redoublent et dispersent son élément so-

  1. Divagations, p. 237.