Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rime, de coupe, nous ne dirons pas d’abord que le poète les a cherchés, mais seulement qu’il les a trouvés. Et ensuite nous réfléchirons que trouver et chercher ne se séparent qu’à l’analyse et pour le langage, non dans la réalité. « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé. » Et pareillement, inversement, on ne trouve que ce qu’on a, d’une façon ou d’une autre, cherché, ne fût-ce qu’en éliminant des trouvailles antérieures.

Il n’y a chez Mallarmé aucune particularité technique nouvelle, et lui-même savait bien que l’alexandrin avait été exploité par Hugo jusqu’aux limites de ses puissances. Son métier est celui d’Hugo et du Parnasse. Et pourtant il se trouve, peut-être par sa poétique, sûrement par son influence et ses préoccupations, sur une frontière. Quelques jours après la Révolution de 1830, Eckermann vit Goethe violemment ému par des nouvelles de Paris et hasarda une réflexion sur les événements politiques. « De quelles vétilles parlez-vous là? » s’écria Goethe. Il s’agissait pour lui d’une discussion à l’Académie des sciences entre Cuvier et Saint-Hilaire. Pareillement, pour Mallarmé, le grand événement de l’époque où sa destinée le fit vivre fut celui-ci dont, à peine débarqué, pour conférences, en Angleterre, il jetait vite la nouvelle à ses auditeurs. « On a touché au vers ! » La naissance du vers libre préoccupa ses dernières années, le fit réfléchir beaucoup sur son art, et notre idée de son vers resterait incomplète si nous ne prêtions attention à ce qu’il pensa du vers libre[1].

Dans une note très substantielle[2], Mallarmé précise les limites et l’échec partiels de l’effort parnassien. Le Parnasse a constitué l’alexandrin dans toute la liberté et aussi toute la perfection de son mécanisme. « Il ins-

  1. Je fais toutes réserves, cela va de soi, sur ce terme dénué de sens. Il est ici, pourtant, moins choquant que d’ordinaire : vers libre n’existe que relativement à vers régulier comme civil n’existe que relativement à militaire. Pour Mallarmé, qui n’admet que le vers régulier, il y a vraiment bien vers libre.
  2. La Musique et les Lettres, p. 74.