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personne rythmique, comme sous une ruche de verre, en un chœur harmonieux et complet, toutes les puissances élémentaires de la poésie française.

Voyez, à côté, cette stance de Mallarmé dans les Fenêtres :

Et la bouche, fiévreuse et d’azur bleu vorace
Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
Une peau virginale et de jadis ! encrasse
D’un long baiser amer les tièdes carreaux d’or.

Pareillement belle, elle est très différemment construite, implique un mouvement, une sinuosité : les deux vers à temps fort sont le premier et le dernier, les deux vers à temps faible, compris entre eux, et dont le second défaille avant la rime, évoquent de leur douceur le passé et le rêve. Du surjet encrasse, tombe avec lourdeur ce baiser long, dans un vers de six ïambes. Ainsi, sous le même visage presque de beauté fraternelle, apparaissent dans les deux stances deux poésies de directions contraires.

Mallarmé a usé fréquemment du vers de huit syllabes. Ce vers est bien loin de comporter les mêmes variations que l’alexandrin. Mallarmé pas plus que les Parnassiens eux-mêmes ne l’a employé dans la grande strophe lyrique de Ronsard et de Malherbe, de Lamartine et d’Hugo : il y faut des poumons oratoires qu’il ne possédait pas. Nous pouvons même ici évoquer cette strophe comme l’antipode de son métier poétique. Mais la petite stance courte de la Prose et de certains sonnets se ressent de la discipline que lui donnèrent les Émaux et Camées : de la plénitude et de la densité à la grâce légère et à la souplesse, elle se révèle apte à des expressions très diverses.

Le travail poétique de Mallarmé, dans ce qu’il a d’intime, sera peut-être mieux compris, à l’examen de quelques variantes. Je choisirai deux poèmes : l’un antérieur au premier Parnasse, le Guignon dont Jules Lomaître appela la première version « à peu de chose