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Or le rejet est un des éléments capitaux dans la technique de Mallarmé. Il prend exactement ici, en bon et probe ouvrier, la suite du vers romantique et parnassien. Des Parnassiens il est le seul avec Heredia qui dans l’emploi du rejet ne s’écarte jamais du principe de raison observé par Racine et Hugo. Principe de bon sens plutôt, que formulent toutes les Poétiques du xviie et du xviiie siècle, lorsqu’elles admettent le rejet seulement s’il produit « une beauté ».

Presque toujours le rejet de Mallarmé équivaut à une sorte de division des tons qui fait du dernier mot d’un vers, du premier mot d’un autre et de leur intervalle trois touches juxtaposées dans toute leur force expressive. Le substantif et l’attribut, ou encore deux attributs, mis l’un à la rime, l’autre en rejet, au lieu de se recouvrir, gardent l’un et l’autre une image pleine. Ainsi dans ces vers

Faune, l’illusion s’échappe des yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste,

l’artifice du rejet annule tout ce qui, par la conjonction, affaiblirait, les réunissant en une expression, l’image du bleu et l’image du froid. Tout en restant liés, chacun des deux mots prend, l’un par la rime, l’autre par le rejet, sa pleine et pure valeur.

Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme de fleurs
Vaporeuses.

(Les Fleurs.)

Une gloire pour qui jadis j’ai fui l’enfance
Adorable des bois de roses sous l’azur
Naturel.

(Las de l’amer repos.)

Je veux délaisser l’art vorace d’un pays
Cruel.

(Id.)