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classiques ne se doutaient pas que c’était à peu près le rejet des Animaux malades de la peste

Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Rejet rimé où en effet le tiers du berger semble, avec la rime à manger, disparaître dans la gueule de la bête.

La plupart du temps, la raison du rejet est d’accroître non l’étendue, mais la portée du vers, en mettant deux ou même trois accents (je prends ici le mot non plus au sens rythmique mais au sens syntaxique) où le vers sans rejet n’en comporte qu’un, celui du mot qui rime : auquel le rejet ajoute d’abord celui du mot rejeté, puis celui du suspens entre la rime et le rejet.

Il fit scier son oncle Achmet entre deux planches
De cèdre, afin de faire honneur à ce vieillard.

(V. Hugo.)

Ces gueux ont commis plus de crimes qu’un évêque
N’en bénirait.

(Id.)

Mais fréquemment aussi le rejet est un moyen de mettre en vue, dans une phrase le mot imagé, frappant, à la rime, en rejetant au vers suivant ses compléments sacrifiés.

Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts.

Des Parnassiens, Hérédia seul en use avec une sûreté discrète et constante. Chez Banville, Leconte de Lisle, Coppée, abondent des rejets à plein contre-sens tels que

Les bandes d’étalons par la plaine inondée
De lumière gisaient sous le dattier roussi.

(Qaïn.)

Nous sommes en Mésopotamie : l’évocation de la plaine inondée, sur laquelle se termine le vers, se trouve contredite, non précisée par le rejet.