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Et comme suppliant le dieu que le trésor
De votre grâce attend !

Si, au Parnasse, la coupe du vers brisé est généralement correcte, ou savante, il lui manque presque toujours, dans l’usage du rejet, ce que j’appellerais le principe de raison. Comme le vers assonancé ou allitéré, le rejet est vain et puéril quand il est semé à tort et à travers ou accumulé en cascade. Il ne doit s’employer que lorsqu’il a une raison d’être, lorsqu’il produit un effet.

À tort ou à raison, Mallarmé appréciait dans le vers libre le moyen de rendre plus intenses, par la rareté qui les réserve au moment décisif, les « grandes orgues » de l’alexandrin. La même rareté est requise à meilleur droit pour ces dissonances de coupe, cet emploi significatif du rejet, cette utilisation du silence intermédiaire, du blanc, qui donnent à tels arrêts de la voix autant et plus de sens qu’aux syllabes mêmes du vers, évocations faites, comme l’œuvre de Dieu, d’un néant, d’une absence, secret le plus difficile du métier. Le xviie siècle, en dépit de Malherbe et de Boileau, en a pénétré, avec Racine et La Fontaine, le détail. Tous les rejets sont dans les Plaideurs. Mais à chaque fois Racine observe le principe de raison ; il n’emploie jamais le rejet sans lui faire produire un effet spécifié, L’évocation de ce rejet de Phèdre est célèbre.

Et vous en laissez vivre
Un… Votre fils, Seigneur, me défend de poursuivre.

Le rejet qui, à la bataille d’Hernani, déchaîna, dès le premier vers, le tumulte,

L’escalier
Dérobé

était très spirituel, dérobant ainsi l’escalier, comme en un mur, dans un coin du vers, et les pères conscrits