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Quant au dernier vers cité, l’impression de lourdeur, le bloc posé sur le tombeau de Verlaine, justifient le poids déversé du premier hémistiche.

Ces accents exceptionnels font donc, à titre de dissonance, corps avec le vers, avec le mouvement du poème. On en relèverait de pareils, avec les mêmes raisons, chez tous les poètes qui possèdent le sentiment du rythme.

La rime, l’assonance, l’allitération, l’accent, associent les éléments du vers, en symbolisent le liant. La coupe dans la mesure assez faible où elle peut se séparer de l’accentuation, les dissocierait plutôt. (S’il y a quelque contradiction dans mes termes, je veux l’y laisser : elle exprimera en effet ces caractères contradictoires du vers français, à la fois mot rythmique auditif, mot littéraire visuel, deux éléments que le génie fait presque coïncider, mais qui toujours, plus ou moins et tout de même chevauchent.) Comme la rime est pour chaque groupe de deux vers un signe équivalent du mouvement oratoire, la coupe forme, à l’intérieur de chaque vers, de chaque microcosme poétique, l’équivalent de la strophe. Les coupes de Mallarmé sont irréprochables d’expression et de sûreté. Les Parnassiens d’ailleurs ne réalisèrent mieux — extérieurement du moins — nulle partie de la technique. Hérédia paraît presque le génie de la coupe.

Fais sculpter sur ton arc, Imperator illustre,
Des files de guerriers barbares, de vieux chefs
Sous le joug, des tronçons d’armures et de nefs.

Tes noms, famille, honneurs et titres, longs ou brefs,
Grave-les dans la frise et dans les bas-reliefs,
Profondément, de peur que l’avenir te frustre.

C’est par la coupe seule que le vers reproduit ici dans sa substance et son dessin la figure qu’il évoque. Par la coupe plus que par l’accent : le quatrième vers porte les six accents, témoins de détail et de patience (Mallarmé ne l’aurait pas terminé par le brefs qui contredit son