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non par le défaut de césure, mais par l’excès des longues et des fortes, n’a plus guère de rapport avec un alexandrin français). Ce vers pesamment armé appartient en somme au même ordre esthétique que cette phrase de Saint-Simon. Parlant des cardinaux et faisant allusion à Retz, il écrit : « Le Roi avait senti, au commencement de son règne, le poids insultant de cette pourpre jusque dans sa capitale[1]. » Ce sont bien les termes d’un homme qui, sur un ennemi « assène un regard ». Le rouge de la pourpre a pour lui un poids, (ainsi dans la Descente de Croix de Rubens le rouge du vêtement qui drape Saint Jean exerce, comme soutien, comme pilier des couleurs la même fonction que Saint Jean lui-même, recevant sur ses bras le corps du Christ). Ce poids, il est, dans la dernière partie de la phrase, rendu sensible, il passe en la voix même, par l’éclat des mots, l’insistance des syllabes fortes, l’allitération des labiales et des dentales. Et tout cela, qui est, pour un écrivain, la substance naturelle de la langue, on n’accusera pas Saint-Simon de l’avoir cherché.

Ce vers suraccentué de Mallarmé n’est d’ailleurs admissible, cela va de soi, que comme une rupture exceptionnelle parmi des alexandrins accentués régulièrement.

L’accent dans le vers ne se sépare pas de la césure et de la coupe, puisque la césure n’est autre chose qu’un accent fort, à place fixe. Si je les distingue par abstraction, c’est que, dans le vers régulier, un certain élément visuel vient s’ajouter à la coupe. Mais tout vers où le nombre des accents est supérieur ou inférieur à quatre implique un déplacement ou une suppression de la césure classique. Voici deux vers à cinq accents.

Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve

(Remémoration.)
  1. Mémoires, éd. de Boislile, t. V, p. 200.