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tement cet étrange Voltaire nu de Pigalle, chapelet et cliquetis d’os échappé de quelque danse macabre. Et cela est si vrai que la même suite de nasales, les mêmes termes, convenablement accentués, formeraient un vers acide encore, mais agréable.

Et Nicolas n’eut rien qui n’honorât Nanine

se dirait bien, marotte à grelots, de quelque bois qu’aurait habité une nymphe galante de Watteau, et l’hexasyllabe n’y choque pas plus que le second hémistiche dans le vers de Musset

Ce ne sera jamais que Ninette et Ninon.

Mais le vers de Mallarmé est rendu délicieux par la simplicité et la belle santé des accents bien en chair. Sa régularité déploie pour l’oreille la ligne même qu’il évoque aux yeux : les deux accents secondaires, assonancés, se correspondent aux syllabes antépénultièmes des deux hémistiches, et la même brève demi-muette les sépare des deux accents principaux.

Cette même allitération, jointe à celle des labiales, exprime, ou plutôt « fait », selon la formule mallarméenne, joliment un coquillage, un « ptyx ».

Aboli bibelot d’inanité sonore.

L’allitération des sifflantes est aussi dangereuse que celle des nasales. Elle a valu à Racine le mauvais vers des serpents. Mallarmé peut y trébucher de façon malheureuse. Ce vers

Quel feuillage séché dans les cités sans soir

(Le Tombeau de Baudelaire.)

rappelle fâcheusement celui de Boileau qui

N’a fait de chez Sercy qu’un saut chez l’épicier

et fera bien d’y demeurer.

Et pourtant cette allitération, elle aussi, quand elle est nourrie convenablement de voyelles, quand elle soutient