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sein autour de la Prose pour des Esseintes son atmosphère d’ironie et ses plans d’imperceptible sourire.

Par là Mallarmé tient le plus authentiquement au Parnasse, à Banville qu’il avoua pour héros. Il va de la rime au vers plus que du vers à la rime. Un beau vers se cristallise autour d’une belle rime. Et cette conception tient de près au reste de son art.

Racine avait appris de Boileau à faire difficilement des vers faciles. Mallarmé fit difficilement des vers difficiles. « L’œuvre pure, dit-il, implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l’initiative aux mots[1]. » Le manque d’initiative poétique, la sécheresse, n’impliquent-ils point cette initiative laissée aux mots, particulièrement aux mots prépondérants de la rime ? De là les bouts-rimés de Ses purs ongles, Le temple enseveli, Toute aurore. Ainsi Malherbe, dont la veine n’était pas plus abondante, « s’étudiait fort, dit Racan, à chercher des rimes rares et stériles, sur la créance qu’il avait qu’elles lui faisaient produire quelques nouvelles pensées, outre qu’il disait que cela sentait son grand poète de tenter les rimes difficiles qui n’avaient point été rimées[2] ». À l’objection que la recherche de la rime rare fait dégénérer la poésie en bouts-rimés, Banville répondait que ce n’est pas la poésie qui imite les bouts-rimés, ce sont les bouts-rimés qui imitent la poésie. Mais imitation de la poésie et poésie ici se confondent. Mallarmé fait de ces bouts-rimés comme le chrétien de Pascal, quand la foi et la grâce manquent, fait dire des messes et prend de l’eau bénite. L’initiative passe de l’esprit aux mots comme ici de l’esprit aux choses.

Ne nous méprenons pas sur ce terme de bouts-rimés, que Mallarmé lui-même provoque quand il parle de céder « l’initiative aux mots ». La suggestion des phrases par les mots, c’est l’essentiel de l’inspiration.

  1. Divagations, p. 246.
  2. Éd. Lalanne, t. I, p. lxxxiii.