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goûts historiques de l’école. Les mots de cette poésie, immobilisés en un sens clair, plastique, sont des points d’arrêts, des images au repos.

Chez Mallarmé au contraire le mot est toujours pris de profil dans quelque acception rare. Au lieu de dire tout ce qu’il veut dire, il ne dit pas tout ce qu’il peut dire. Il n’équivaut pas à son objet, mais à quelque sujet qui penserait sous un angle personnel cet objet. Mallarmé ne se soucie pas de la beauté sonore des noms propres : il ne les emploie que pour les taire aussitôt, comme à la fin de la Prose pour des Esseintes. Ses mots sont des centres de divergence d’où se disperse un sens musical, je ne dis pas un son musical. Un mot est une image qui se défait dans la pensée mouvante.

Il en est ainsi de presque tous les mots essentiels du sonnet sur Poe, — sauf voix étrange amené par la rime. Grief forme un bel et pur type de mot mallarméen. Désastre a malheureusement, par son pluriel, traîné à des fins de vers. Surtout ces mots ne nomment pas, pour les faire, joyaux verbaux, des pierres précieuses ; mais au- cun, même les plus matériels, hydre, ange, tribu, sol, nue, bas-relief, tombe, bloc, granit, borne, n’existe par lui-même ; il existe par l’état d’âme sous-jacent qu’il indique, il est placé en porte-à-faux, on en trouve le sens allusif par une sorte de mouvement tournant. Là, « il y a symbole, il y a création ». C’est toujours notre idée qui sculpte le bas-relief. J’ai cité un sonnet connu, et qui peut se comparer de près à un sonnet parnassien. Mais tous les derniers sonnets, d’un mallarmisme plus concentré, plus inflexible et plus nu, offriraient des démonstrations encore plus convaincantes.

J’y cueille cet autre terme de comparaison, curieux. Ce sont les deux tercets du sonnet : Tout orgueil fume-t-il du soir.

Affres du passé nécessaires
Agrippant comme avec des serres
Le sépulcre de désaveu