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Il dort au lit profond creusé par les eaux vierges.
Qu’importe un monument funéraire, des cierges,
La croix et la chapelle ardente de l’ex-voto,

Puisque le vent du Nord parmi les cyprières
Passe et dit à jamais d’éternelles prières
Sur le grand fleuve où dort Hernandez de Solo !

C’est le tombeau du Conquistador. Placez à côté celui du Poète.

Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change,
Le Poète suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange !

Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu
Proclamèrent très haut le sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.

Du sol et de la nue hostiles, ô grief!
Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne.

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du blasphème épars dans le futur.

Du sonnet parnassien, la plus grande part de la beauté est faite des mots rares, exacts et pittoresques. Pas un soupçon de cheville. Une prose descriptive pourrait rompre le rythme du vers, elle n’aurait pas un seul mot à changer. Chacun de ces mots dit splendidement et avec plénitude tout ce qu’il veut dire, il équivaut formellement à l’objet. La perfection de cette équivalence est réalisée, en principe, par les noms propres, qui n’admettent, à côté du leur, pas d’autre sens évoqué. De là leur éclat dans la poésie parnassienne, la dilection avec laquelle ils sont cueillis, toute cette Armeria somptueuse, salle à manger d’Éviradnus, qui s’allie parfaitement aux