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défendu d’avoir réalisé une poésie de mots. Ces lignes, réponse dans l’Enquête de Jules Huret, nous éclairent suffisamment. « L’enfantillage de la littérature jusqu’ici a été de croire, par exemple, que choisir un certain nombre de pierres précieuses et en mettre les noms sur le papier, même très bien, c’était faire des pierres précieuses. Eh bien non. La poésie consistant à créer, il faut prendre dans l’âme humaine des états, des lueurs d’une pureté si absolue que bien chantés et bien mis en lumière, cela constitue en effet les joyaux de l’homme : là il y a symbole, il y a création, et le mot poésie a ici son sens : c’est, en somme, la seule création humaine possible. Et si, véritablement, les pierres précieuses dont on se pare ne manifestent pas un état d’âme, c’est indûment qu’on s’en pare ».

Il est bien vrai que le mot n’a pas pour lui comme il l’a pour les descriptifs une valeur consubstantielle à l’objet qu’il évoque. Il n’a pas non plus cette valeur de sonorité pure, comme celle que l’on trouverait chez les poètes symbolistes que j’ai cités, ou dans les strophes si vainement splendides d’Emmanuel Signoret. La valeur du mot dépend moins du sens qu’il implique pour la pensée, moins du son qu’il rend à l’oreille, que de tout cela qu’il évoque, des lointains qu’il suscite, de la vapeur fuyante où il se dégrade. C’est dans ce sens que doit s’entendre l’image des reflets mutuels dont s’éclairent les pierreries. On saisira mieux si on compare ici Mallarmé avec les Épigones du Parnasse. Lisez un sonnet de Heredia, au hasard.

<poem style="font-style: italic; margin-left: 1.2em;"> À l’ombre de la voûte en fleurs des catalpas Et des tulipiers noirs qu’étoile un blanc pétale, Il ne repose point dans la terre natale. La Floride conquise a manqué sous ses pas.

Un vil tombeau messied à de pareils trépas. Linceul du conquérant de l’Inde occidentale, Tout le Meschacébé par dessus lui s’étale. La panthère et l’ours gris ne le troubleront pas. </poem/>