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transfiguration en le terme surnaturel, qu’est le vers[1] ».

« Il y a des mots que nous n’avions jamais entendus avant tel artiste qui les plaça de manière à nous les révéler dans toute leur beauté. » Propos que lui attribue assez vraisemblablement M. Mauclair[2]. Pour que ces mots fussent entendus, l’exemple de Hugo et la technique du Parnasse avaient donné un moyen mécanique, la rime. La rime riche leur conférait une valeur unique, les transfigurait dans un bain de musique. Mais la rime riche et significative ne fait que souligner par un trait d’archet final ce qu’en effet les poètes et les prosateurs ont pratiqué comme un des secrets de leur art. A-t-on entendu le mot pluie avant d’avoir goûté ce vers de Ronsard sur la rose :

Mais battue ou de pluye ou d’excessive ardeur,

éprouvé, en le son humide et gonflé comme une motte de terre, isolé entre des brèves peu accentuées, les longues ondées de juin sur les prés et les fleurs, coutumières au climat tourangeau ? Ainsi Mallarmé, comme tout bon poète, met à bien des mots le nimbe sacré

Mordant au citron d’or de l’idéal amer.

(Le Guignon.)

De scintillations sitôt le septuor.

(Ses purs ongles.)

Oh sache l’esprit de litige.

(Prose.)

À des glaciers attentatoire.

(M’introduire.)

Il a développé en des méandres subtils de réflexion le texte célèbre,

Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant.

  1. La Musique et les Lettres, p. 42.
  2. Le Soleil des Morts, p. 91.