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Ces figures, dans leurs synthèses, ne disposent pas des tableaux en un ordre simultané, mais unissent des moments en une succession vivante. Elles sont prises de l’intérieur, elles ont, comme une toile de Carrière, leur centre dans un regard, dans une méditation. Et, sous une figure pareille, il esquisse de lui-même le portrait qu’il lui plairait de laisser

En le vierge héros de l’attente posthume.

À Gautier, au maître du Parnasse, il a donné, dans son Toast Funèbre, un tombeau, massif et dur, de porphyre. Mais, pour lui, telle il n’évoque point la gloire souhaitée ; bien au contraire une gloire comme tournante, interrompue, avec des ombres et des silences séparant de brefs moments de lumière, « un laps, au commencement tout à fait de la jeunesse, par chaque génération — quand l’enfant prêt de finir jette un éblouissement et s’institue le vierge de l’un ou l’autre sexe. Hors les collèges, les murs, les formulaires, et tout ce qui de parfait, officiellement servira : dans un cloître mental, aux arceaux d’âge en âge, qu’illumine l’instant fugitif d’élus[1]. »

Des figures arrêtées, comme telles visions plastiques d’Hérodiade, aux figures intérieures, flottantes et qui vivent, il y a pour lui à la fois comme une hiérarchie et comme un mouvement. Ici, il faut garder présent à l’esprit l’intérêt de plus en plus avisé et méditatif qu’il portait à la musique et surtout au ballet. Si, par delà la splendide porte d’or publiée, Hérodiade avait été achevée, le passage du plastique au mouvant eût été visible, et les « pierreries froides » se fussent séparées pour couler en une eau phosphorescente. Le poème qui dans le plan de Mallarmé suivait la partie dialoguée d’Hérodiade, le cantique de Saint-Jean est l’hymne de la tête coupée volant, du tranchant du glaive, vers la lumière.

Comme point d’intersection de ces deux sortes de

  1. Divagations, p. 338.