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Les quatre pieds posés sur un caillou tremblant

ou de Héredia quand il a vu

Pégase
Allonger sur la mer sa grande ombre d’azur.

Voici l’exemple plus clair encore du sonnet inclus dans la Déclaration Foraine. Il me paraît d’ailleurs un des plus parfaits, techniquement, de MalIarmé. D’un bout à l’autre il est tissé d’images motrices, splendides de raccourci et de feu. Je ne cite que le premier quatrain.

La chevelure vol d’une flamme à l’extrême
Occident de désirs pour la tout déployer
Se pose (je dirais mourir un diadème)
Vers le front couronné son ancien foyer.

Les deux premiers vers portent deux images parfaitement fondues : une image visuelle de mouvement externe et décrit qui pose la chevelure, idéalement, flamme envolée, — et une image non visuelle, proprement et intérieurement motrice, kinesthésique, la tendance voluptueuse de la main à la dérouler toute. La chevelure est un feu qui, du front, son foyer et son Orient, doit épanouir sa courbe splendide, crouler en achevant sa révolution dans sa gloire occidentale. Elle le doit non d’elle-même, mais parce qu’est présent l’invisible Amour. Son Occident réel et vivant ce sont les désirs de la main, les désirs pour la déployer toute, flottant déjà dans les regards. Mais (le sonnet, il faut s’en souvenir, naît comme sa fleur exacte et logique de toute la Déclaration Foraine) cette courbe pressentie et cette chute de la chevelure vers un Occident amoureux, demeurent arrêtées, contenues, disciplinées, ramenées purement en tresse au foyer du front, disposées en la couronne juste de la beauté.

J’ai dit ailleurs que la préciosité de Mallarmé consistait un peu à garder trop intacte, trop fraîche, purifiée