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catalogue d’exposition, celle de la belle-sœur de Manet.

Si maintenant, éclairés par ces indications, nous cherchons le trait commun des images mallarméenues, il nous apparaîtra un mouvement. Ce qui domine chez Mallarmé, ce ne sont ni les images actives, ni visuelles, ni tactiles, mais les images motrices, — et toute image tactile, visuelle, auditive, montre en lui une tendance à se mobiliser, à glisser vers l’image correspondante d’un autre sens, l’accent portant non sur les points de départ et d’arrivée, mais sur cette trajectoire même.

Toute image plastique, saisie et arrêtée, se libère par une fuite, comme les deux nymphes qu’enlace le Faune de l’Après-Midi. Et l’Après-Midi d’un Faune offre le type le plus frappant de cette mobilité d’images qui sous la même phrase incessamment l’une dans l’autre défaillent, se fondent.

De la tendance aux images motrices ne se sépare pas ce goût de la danse, sur lequel Mallarmé bâtit de frêles échafaudages d’esthétique subtile. Par delà la musique et la poésie même, tout l’art essentiel, dans le ballet qu’il rêve, est figuré par des mouvements de danseuse.

Ces mouvements, minutieusement esquissés, sont filés comme un son musical. On cueillerait abondamment des images comme celles-ci : « Subtil secret des pieds qui vont, viennent, conduisent l’esprit où le veut la chère ombre enfouie en de la batiste et les dentelles d’une jupe affluant sur le sol comme pour circonvenir du talon à l’orteil, dans une flottaison, cette initiative par quoi la marche s’ouvre, tout au bas et les plis rejetés en traîne, une échappée, de sa double flèche savante[1]. »

La phrase de Mallarmé s’installe au cœur du mouvement pour l’exprimer par des images motrices, et non, comme on le fait d’ordinaire, hors du mouvement pour le dessiner avec des images plastiques. Là, c’est le mouvement qui est traduit directement en images motrices, mais fréquemment ce sont des visions plastiques qui

  1. Divagations, p. 37.