Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tantôt l’image visuelle s’exprime ou se renforce par une image auditive.

La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant l’archet aux doigts dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.

(Apparition.)

… L’Azur triomphe et je l’entends qui chante
Dans les cloches Mon âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire méchante,
Et du métal vivant sort en bleus angélus.

(L’Azur.)

C’est « le soleil qui sous l’eau s’enfonce avec le désespoir d’un cri[1] ». À propos de Whistler voici « l’habit noir ici au miroitement du linge comme siffle le rire[2] ». En cette image notez l’intermédiaire, le nom de sifflet donné à l’habit noir, métaphore visuelle qui s’applique fort bien à la coupe du vêtement, et que Mallarmé prolonge d’une variante auditive.

Ailleurs et plus souvent c’est l’image auditive qui s’exprime et se développe en image visuelle. D’arbres la « croissance visible s’accompagne malgré l’air immobile d’une plainte de violon qui à l’extrémité frissonne en feuilles[3] ».

Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d’accords.

(L’Après-Midi.)

Basse de basalte et de laves,

(À la nue accablante tu.)

Comme Victor Hugo, Mallarmé interprète la musique par les yeux. Les musiciens, eux (lisez l’enquête de M. Ribot dans l’Évolution des Idées générales) ne voient

  1. Divagations, p. 3.
  2. Divagations, p. 126.
  3. Divagations, p. 59.