Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le toucher originel, c’est elle qu’il faut d’abord interroger.

Un de nos regrets, quand nous songeons à tout ce qui, de Mallarmé, eût pu exister et s’abîma dans le silence, c’est de n’en pas avoir un recueil de sonnets d’amour. Il nous faut l’épeler sur une ruine, sur six ou sept chefs-d’œuvre, sur des fragments de l’Après-midi d’un Faune.

Dans l’Après-Midi, malgré les « bords siciliens », pas d’image grecque, latine, méditerranéenne, de corps en plein air, doré et dur, mais cette chair, capricieusement rosée, de crème mousseuse, qui floconne sur une toile de Greuze ou dans la Psyché de Prudhon.

Si clair
Leur incarnat léger qu’il voltige dans l’air
Assoupi de sommeils touffus.

Les plus anciens de ces vers sont le charmant sonnet, refait pour les Poésies Complètes, de Placet Futile

Princesse, nommez-nous berger de vos sourires.

« À la place du vêtement vain elle a un corps, dit dans le Phénomène Futur le Montreur des choses passées ; et les yeux, semblables aux pierres rares ! ne valent pas ce regard qui sort de sa chair heureuse ». Ainsi du vers que je viens de citer les sourires sortent, se détachent à demi, comme un troupeau qui s’ennuage sous la poudre d’une joue Pompadour. Ailleurs,

Un trésor présomptueux de tête
Verse son caressé nonchaloir sans flambeau ;

La tienne si toujours le délice ! La tienne
Oui seule qui du ciel évanoui retienne
Un peu de puéril orgueil en t’en coiffant

Avec clarté quand sur les coussins tu la poses
Comme un casque guerrier d’impératrice enfant
Dont pour te figurer il tomberait des roses.

Peut-être est-il exagérément précieux de suspendre,