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de cette nudité lointaine que, par l’éclair de quelques vers, comme de rapides échappées d’éther, il nous fit entrevoir. La nudité d’Hérodiade paraît le symbole de sa poésie, nudité mystique qui supporte les draperies de poème, et qui, en se dévoilant, mourrait à la fois de sa splendeur excessive et du sursaut de sa pudeur. Il garda cette vision intérieure de la poésie pure, de la poésie nue, par delà tout décor et tout épanouissement extérieur, vision qu’il n’a point matérialisée — et c’eût été contradictoire — mais indiquée par des allusions, par un jeu mouvant et des courbes légères. Il nous apparaît de là comme un poète hyperbolique, celui de l’Hyperbole qu’il suscite dans la Prose pour des Esseintes, vainement, et qui existe moins pour l’intelligence qui l’a conçue que pour la volonté qu’elle a déçue. Ainsi le cartésianisme immodéré de Spinoza retire en un monde de glace géométrique une vivante philosophie française.

Un poète hyperbolique, qui va loin sur le chemin où s’arrêta, pour construire son monument, Flaubert. Dans son étude sur Beckford, il regrette que le luxe évocatoire et verbal d’un conte d’Orient, tant au xviiie siècle qu’au suivant, n’ait jamais servi à une « visée sublime » de signification raffinée et profonde. Aux marges des bouquins hors de mode, « flotte la nuée de parfums qui n’a pas tonné ». Mais il ajoute avec le remords d’avoir paru sacrifier à la matière de l’œuvre son essence poétique, sa « pudeur grelottante d’étoile » : « Peut-être qu’un songe serein, et par notre fantaisie fait en vue d’elle-seule, atteint aux poèmes : leur rythme le transportera au delà des jardins, des royaumes, des salles ; là où l’aile de péris et de djinns fondue en le climat ne laisse de tout évanouissement voir que pureté éparse et diamant, comme les étoiles à midi[1]. »

Il tenta donc incertainement en essais d’art, il indiqua plus précisément en spéculations techniques, une poésie pure. Toujours, pense-t-il, la poésie est trop demeurée

  1. Divagations, p. 75