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(La poésie de Mallarmé ferait songer quelque Scarron à une absence de cocher qui avec l’idée d’une brosse nettoierait une vacance de carrosse...)

De cela, plus lointainement, je trouve la racine dans les vers exquis d’Apparition.

C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie, aimant à me martyriser,
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un rêve au cœur qui l’a cueilli.

Hâtons-nous de lire dans cette fleur transparente qui se compliquera et s’assombrira. Réaliser un rêve, même le réaliser pleinement, cela dégage une mélancolie invincible. Sans heurt, silencieusement, par l’acte même de sa nature, le rêve, en passant à la vie, se dépose en tristesse, comme une nuit froide et pure en rosée. Du sentiment que cette musique immobilise, seront faits, devant la vie l’arrêt craintif de Mallarmé, devant une œuvre enfin créée l’indéfini de ses scrupules.

II a écrit dans le Nénuphar Blanc le poème de ses journées d’été, de la rivière lumineuse qui porte la yole comme le rêve qui l’effleure. Journées de nonchaloir qui suscitent autour de lui son paysage intérieur, visible, docile et souriant, aux flancs d’un verre haleine fraîche de l’eau : la page blanche, non plus blanche dans son vide, mais blanche dans sa plénitude et sa perfection de mystère non écrit, de pureté non déchue. L’inconnue, amie d’une amie, qu’il allait saluer dans son parc et qu’il ne vit pas, il l’a imaginée, par un même symbolisme spontané que celui de la Déclaration Foraine, l’image et comme la Muse du poème qui sur l’eau simplement se rêve : « Sûr, elle avait fait de ce cristal son miroir intérieur à l’abri de l’indiscrétion éclatante des après-midi ; elle y venait, et la buée d’argent glaçant des saules ne fut bientôt que la limpidité de son regard habitué à chaque feuille. »