Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaincre autrui, besogne fragile, est souvent l’empêcher de se convaincre.

Et mon cœur, soulevant mille secrets témoins,
M’en dira d’autant plus que vous m’en direz moins.

Et, sur cette idée de l’allusion suggestive, Mallarmé alla loin, très loin, avec une obstination fine et têtue. De là tout un vocabulaire. Les mots de la poésie romantique, comme de toute poésie, conservent leur sens matériel, positif, visuel, ils sont des objets. Mallarmé voudrait des mots qui fussent des sujets. Dans la poésie romantique — je citais plus haut les strophes du Lac — la phrase n’a, au contraire du vers classique, qu’une valeur allusive, non significative. C’est que cette phrase existe du point de vue d’une émotion qui agit, non d’un discours qui prouve. Mais le mot, en même temps qu’il existe du point de vue musical du vers, existe du point de vue grammatical, logique, prosaïque, probatoire et oratoire de la phrase. C’est de ce dernier refuge que Mallarmé veut chasser la prose et l’éloquence.

Prends l’éloquence et tords lui son cou.

Le mot, lui aussi, ne doit avoir qu’une valeur allusive, comme sur une vitre ne poser sur la page blanche qu’une buée d’émotion. De là l’emploi préféré des mots négatifs, des « absences » qui figurent non une réalité donnée, mais une réceptivité.

Indomptablement a dû
Comme mon espoir s’y lance
Éclater là haut perdu
Avec furie et silence

Voix étrangère au bosquet
Ou par nul écho suivie
l’oiseau qu’on n’ouit jamais
Une autre fois dans sa vie.

Et le Vierge, le vivace ! Mes bouquins refermés ;