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La poésie réalise ainsi une synthèse du silence et de la parole — silence par rapport à l’objet tu, parole par rapport aux allusions qui l’indiquent. De l’objet tu à l’objet absent, les frontières sont indécises. En des sonnets comme Une dentelle s’abolit, Mes bouquins refermés, le poète, au lieu de taire l’objet, trouvera dans l’absence formellement indiquée un équivalent esthétique du silence.

Ainsi la puissance de suggestion est en raison directe d’une brièveté qui condense, conserve et propage du silence. Et Mallarmé creuse seulement d’une façon plus paradoxale dans un fonds commun de l’art. Eschyle avait pris au silence que lui imposait la loi des deux acteurs ses plus puissants effets dramatiques. Tels silences d’Hermione ou de Roxane marquent chez Racine les moments les plus tendus et les plus pleins de l’action tragique, et l’on sait quel gouffre enflammé de passion charnelle creuse le seul « ou perdue » qui termine la déclaration de Phèdre. À ce dernier n’appliquerait-on pas exactement la définition de Mallarmé « mots allusifs, jamais directs, se réduisant à du silence égal ? »

La Prose pour des Esseintes que j’étudierai ailleurs dans son détail nous offrirait le type parfait de ces indications allusives à la Vinci, par « du silence égal » ou des absences désignées, par le sourire de la Joconde ou le doigt levé de Saint Jean-Baptiste. Pareillement le premier et le dernier sonnet des Poésies complètes.

Rien, cette écume, vierge vers
À ne désigner que la coupe.

Par ce toast porté à un banquet débute le recueil de Mallarmé, avec intention certes. Rien, à sa main simplement la mousse du vin blond, le vers qui est là sans prétexte autre que la coupe levée. Mais qu’est-ce que rien, sinon tout, — salut offert

Solitude, récif, étoile,
À n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.