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1. Les premières années


Si Flaubert avait figuré de son vivant dans un roman à clef, comme Charles Demailly, on l’y eût appelé, assez à propos, Cambremer. C’était le nom de famille de sa grand-mère maternelle, Camille Cambremer de Croixmare, de bonne bourgeoisie normande, laquelle avait épousé un médecin de Pont-l’Êvêque, Jean-Baptiste Fleuriot, en 1792. La fille qui leur était née en 1793, Caroline, ayant perdu très jeune son père et sa mère, fut élevée d’abord dans un pensionnat de Honfleur, puis à Rouen, chez le docteur Laumonier, médecin de l’hôpital. Elle y fit la connaissance d’un jeune médecin de Nogent-sur-Seine, établi à Rouen, le docteur Flaubert, et l’épousa en 1810. Ce n’est que par les Fleuriot-Cambremer que Flaubert est Normand, bourgeois bourgeoisant de ce pays où il a constamment vécu, dont il s’est imprégné de partout, tant par la curiosité artistique qui l’inclinait vers lui que par les colères qui le levaient contre lui. Il était Normand intégral par son physique. Sa fantaisie lui persuadait qu’il descendait des aventuriers de Sicile, et il écrivait : « Je suis un Barbare, j’en ai l’apparence musculaire, les langueurs nerveuses, les yeux verts et la haute taille, mais j’en ai aussi l’élan, l’entêtement, l’irascibilité. » Sans remonter si loin, et puisque c’est l’écrivain qui nous intéresse en lui, nous trouvons chez lui des rapports assez étroits avec les autres écrivains normands, qui forment peut-être, avec les Bourguignons, notre famille littéraire la plus homogène et la mieux caractérisée, les Malherbe, les Corneille, les Barbey d’Aurevilly, avec leur substance robuste, leur originalité agressive et rude, quelque