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7. « L’éducation sentimentale »


Salammbô parut en 1862, et, comme le redoutait Flaubert, fut très mal accueillie, surtout par la critique. Sainte-Beuve écrivit sur elle deux articles qui nous paraissent aujourd’hui singulièrement mesquins, et depuis cette époque le ton n’a pas varié. Salammbô est, comme le furent longtemps les Fleurs du mal, l’objet d’un malentendu persistant entre la critique qui croit en démontrer les défauts et en démonter les trucs, et une élite, qui persista à l’admirer. Bien des jeunes gens (devenus aujourd’hui plus vieux) en ont reçu en plein front le premier coup de poing du grand art, ont poussé sur elle, comme le jeune Thierry sur les Martyrs, leur cri : Pharamond ! Pharamond ! Aujourd’hui, Salammbô reste cependant plus discutée que les Fleurs du mal, elle a contre elle une partie, assez considérable en qualité, de l’opinion littéraire. Il s’agit surtout de celles des Français qui n’ont pas la tête épique. Salammbô me paraît dans le roman, genre fils de l’épopée, le rappel le plus net, le plus clair, et le plus haut de ses origines. Et probablement le dissentiment subsistera aussi longtemps que l’ensemble du goût français présentera sa géographie particulière, les pentes contrastées qui font sa vie.

Conformément à cette alternance de tableau épique et d’observation critique qui donne son rythme à toute l’œuvre de Flaubert, sitôt Salammbô terminée, il se met à un grand roman contemporain où il jettera toute son expérience de la vie. À ce moment, Flaubert n’est plus tout à fait le reclus de Croisset, qui a écrit dans une solitude orgueilleuse et rugissante Madame Bovary et Salammbô. Maintenant qu’il a travaillé pour la