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partement de nostre grand cap, tire à d’extre, pour aller à l’Amerique, laquelle nous suyuimes, acôpagnez du vêt, qui nous fut fort bon et propice.

Nonobstant nous demeurasmes encore assés longtemps sur l’eau, tant pour la distàce des lieux, que pour le vêt, que nous eumes depuis contraire : qui nous causa quelque retardement, iusques au dix huictiesme degré de nostre ligne, lequel derechef nous fauorisa. Or ie ne veux passer outre sans dire ce que nous aduint chose digne de memoire. Signe aux navigans de l'approchement des Amériques. Approchans de nostre Amerique bien cinquante lieues, commençasmes à sentir l’air de la terre, tout autre que celuy de la marine, auecque une odeur tant suaue des arbres, herbes, fleurs, et fruits du païs, que iamais basme, fusse celuy d’Egypte ne sembla plus plaisant, ne de meilleure odeur. Et lors ie vous laisse à penser, combien de ioye receurent les pauures nauigans, encores que de long temps n’eussent mangé de pain et sans espoir dauantage d’en recouurer pour le retour. Montagnes de Croismouron. Le iour suyuant, qui fut le dernier d’Octobre, enuiron les neuf heures du matin decouurismes les hautes montagnes de Croistmouron[1], combien que ce ne fust l’endroit, où nous pretendions aller.

Parquoy costoyans la terre de trois à quatre lieues loing, sans faire contenance de vouloir descendre, estans bien informez que les Sauuages de ce lieu sont fort alliez auec les Portugais, et que pour neant les aborderions, poursuyuismes chemin iusques au

  1. Les montagnes de Croistmouron correspondent à la sierra de Espinhaco, qui sert de ceinture orientale au San-Francisco.