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des autres hommes. A cet égard et pour cette raison, Les Confessions de Joseph Delorme sont déjà de la poésie un peu morbide, presque pathologique, de la poésie de neurasthénique ou de névrose. Ajoutons que Sainte-Beuve a aussi, comme artiste et comme versificateur, des raffinements et des recherches dont l’inquiète subtilité n’a peut-être d’égale que leur inutilité. Nous voulons dire qu’elles échappent à l’œil nu, pour ainsi parler, et on ne les apprécie qu’à la condition d’être dûment averti. C’est d’une autre manière que Musset est personnel, par un autre genre d’affectation, celle du dandysme et du parisianisme. Il deviendra plus simple, quelques années plus tard, et la passion le transformera. Mais à ses débuts, dans Les Marrons du Feu, dans Mardoche, dans Namouna, avec des dons de poète qui déjà l’élèvent bien au-dessus de son personnage, et de Sainte-Beuve, il est le Lovelace et le Brummell du romantisme ; il ne fait de vers qu’en se jouant, ou même en se moquant, par dérogation d’amateur à des occupations infiniment plus graves, lesquelles etaient, nous dit son frère, de conférer « avec les premiers tailleurs de Paris, » de « faire valser une vraie marquise, » et de courir les tripots et les filles. Naturellement ce n’est pas à son frère que nous devons ce dernier renseignement. C’est pourquoi, si son inspiration diffère à tous autres égard de celle de Sainte-Beuve, elle est pourtant la même dans son principe, personnelle jusqu’à l’égoïsme, et jamais homme n’a eu plus que lui la prétention de ne ressembler qu’à soi. Les contemporains l’entendirent bien ainsi, et sur leurs traces à tous deux, Musset et Sainte-Beuve, toute une légion d’imitateurs se précipita, qui, n’ayant rien de leur originalité, ne devait donc pas laisser de souvenirs dans l’histoire de la Poésie Française. La première condition pour faire de la poésie personnelle, ― on ne dit pas la seule, ― c’est d’être quelqu’un ; et c’est ce qui n’est donné à un petit nombre d’entre nous. Les esprits originaux sont rares.

C’est ce que Théophile Gautier avait compris d’instinct, et, assurément, s’il n’eût dépendu que de lui, le romantisme eût des lors évolué vers l’art impersonnel. La description des lieux, la résurrection pittoresque du passe, la fidélité de l’imitation, la « soumission à l’objet » fussent devenus des lors le principal objet de la poésie.