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les maîtres de pension, depuis le docteur Hawtrey jusqu’à M. Squeers.

J’évoque devant moi le redoutable tribunal de la jeunesse et de l’innocence, assisté de ses vénérables maîtres ; ces dix mille enfants aux joues roses que la charité publique élève à Saint-Paul ; ils siègent pour le jugement, et Gorgius plaide sa cause à la barre. Hors de cour ! hors de cour, ce vieux Florizel ! Appariteurs, faites sortir du prétoire ce gros père à la face bouffie et bourgeonnée ! S’il faut que Gorgius ait sa statue dans le nouveau palais que bâtit en ce moment le peuple de Brentford, il pourra trôner avec avantage dans le vestibule, au milieu de la valetaille. On pourra le représenter traçant une coupe d’habit, talent qu’il possédait, dit-on, au suprême degré. On lui doit encore l’invention du punch au marasquin et d’une nouvelle boucle de souliers : il était alors dans la vigueur de la jeunesse et dans le premier jet de l’imagination ; il inventa aussi un pavillon chinois, la plus hideuse bâtisse qu’on puisse voir. Il conduisait à grandes guides presque aussi bien que le premier cocher de Brighton ; il tirait le fleuret avec assez de grâce, et jouait passablement du violon. Son sourire exerçait une si puissante fascination sur ceux qui étaient admis à voir son auguste personne, qu’ils tombaient en son pouvoir corps et âme, ni plus ni moins qu’un pauvre lapin devient la proie du terrible boa constrictor.

Je parierais que si M. Widdicomb, celui qui joue si bien les traîtres au théâtre d’Adelphi, était porté par une révolution au trône de Brentford, la foule se laisserait également fasciner par l’irrésistible majesté de son sourire et tremblerait en se prosternant pour lui baiser la main. Puis, s’il lui prenait fantaisie d’aller à Dublin, on lui élèverait un obélisque à l’endroit même où il aurait débarqué, comme firent les Paddi-Landers en mémoire de la visite de Gorgius. Nous avons tous lu avec transport cette histoire du voyage du roi dans le Haggisland, et le récit de l’enthousiasme frénétique qu’inspira sa présence. Ce fut en cette circonstance que l’homme le plus en renom de cette contrée, le baron de Bradwardine, s’étant rendu à bord du