Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

côté, passa toute sa nuit à se demander ce qui allait advenir de tout ceci. Le lendemain matin, M. Joseph se présenta avant le déjeuner, aussi inévitable que la destinée. Jamais il n’avait fait autant d’honneur à Russell-Square. George Osborne s’y trouvait aussi depuis quelque temps, occupé, disait-il, à aider Amélia, qui écrivait à ses douze meilleures amies de Chiswick-Mall, et Rebecca continuait son travail de la veille, tandis que le buggy de Joe s’éloignait après que la porte eut retenti sous un bruyant coup de marteau.

Le receveur de Boggley-Vollah monta tout haletant les escaliers qui conduisaient au salon. Des regards d’intelligence furent échangés entre Osborne et miss Sedley qui, avec un sourire malicieux, regardèrent Rebecca toute rougissante, et dont les longues boucles cachaient à moitié la figure. Son cœur battait bien fort lorsque Joseph se montra sur la porte, Joseph tout essoufflé avec des bottes brillantes et dans tout leur premier vernis, Joseph dans un habit qu’il mettait pour la première fois, tout rouge de chaleur et de bonne santé derrière l’épais rempart de ses cravates. C’était un moment critique pour tout le monde, et Amélia était encore dans de plus grandes transes que les parties intéressées elles-mêmes.

Sambo, qui avait annoncé M. Joseph, venait en riant à la suite du receveur ; il portait deux beaux bouquets de fleurs que le séducteur avait eu la galanterie d’acheter le matin même au marché de Covent-Garden. Ils n’étaient pas, à beaucoup près, aussi fournis que ces espèces de bottes de foin que nos dames portent dans les soirées.

Les jeunes filles reçurent avec grand plaisir ce présent, que Joseph accompagna, pour chacune d’elles, d’un majestueux et gauche salut.

« Bravo ! Joe, s’écria Osborne.

— Merci, mon cher Joseph, » dit Amélia, toute prête à embrasser son frère, pour peu qu’il s’y fût prêté.

Pour un baiser d’une aussi douce créature qu’Amélia, j’achèterais bien sans marchander toutes les serres de M. Lee.

« Oh ! les belles, les admirables fleurs ! » s’écria miss Sharp ; puis elle osait à peine les sentir, les pressait sur son sein, les contemplait dans l’extase de l’admiration. Peut-être regardait-elle le bouquet de si près pour s’assurer s’il n’y avait pas quelque billet doux caché entre les fleurs.