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femme, dit Mr. Sedley, et n’oubliez pas de boire à la nôtre, Trotter, quand vous serez chez vous. »

Neuf jours à peine s’étaient écoulés depuis qu’Amélia avait quitté ce modeste réduit, et cependant elle se sentait séparée par un bien long intervalle des temps heureux qu’elle y avait passés. En faisant un retour vers cette époque, quelle différence ne trouvait-elle pas entre la situation présente de son esprit et celle de la jeune fille absorbée dans son amour, dirigeant toutes les forces de son âme sur l’objet unique de ses affections, et payant les soins affectueux de ses parents, sinon par l’ingratitude, du moins par une froide indifférence, tandis qu’elle réservait toute la chaleur de son cœur et de son âme pour réchauffer une espérance dont un jour, peut-être, elle aurait à reconnaître les illusions. Ce coup d’œil rétrospectif vers des temps tout à la fois voisins et si éloignés, la saisirent d’une certaine honte, et la vue de son excellente mère, si affligée dans sa solitude, la pénétra d’un tendre remords. Elle était bien forcée d’avouer maintenant que, possédant ce qu’elle croyait le paradis sur terre, ses désirs n’en étaient ni moins inquiets ni plus satisfaits.

Quand le nouvelliste, en mariant son héros et son héroïne, leur a fait faire ce qu’on appelle le grand saut, il tire en général la toile sur ce tableau. Eh ! mon Dieu ! le drame est-il donc fini ? Les soucis et les luttes de la vie respectent-ils cette limite ? En un mot, ne trouve-t-on plus que des objets couleur de rose sur les terres du mariage ? Doit-on croire que la femme et le mari n’aient plus alors qu’à gagner paisiblement, au milieu des plus douces étreintes et des plus ineffables jouissances, le terme de leur vieillesse ? Notre petite Amélia, toute fraîche débarquée sur ce nouveau rivage, jetait un dernier regard de regret et d’adieu à ces tristes et charmantes figures dont le courant ne la séparait pas encore assez pour l’empêcher de voir leurs ombres disparaître dans le lointain.

En l’honneur de la jeune mariée, mistress Sedley voulut faire quelque chose d’extraordinaire. Aussi, après le premier feu de leur entretien, elle quitta un instant mistress George Osborne, et descendit dans les parties inférieures de la maison, où se trouvait une espèce de cuisine, résidence habituelle de M. et mistress Clapp et de miss Flannigan, la servante irlandaise, lorsqu’elle avait lavé la vaisselle et ôté ses papillotes.