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taient aux yeux de miss Briggs. Dans le mariage de Rawdon et de Rebecca, mistress Bute était la grande, l’unique coupable. Mais en reconnaissant Becky pour une victime bien innocente des embûches de mistress Bute, miss Briggs ne pouvait dissimuler à son amie son peu d’espoir de voir les affections de miss Crawley se ranimer en faveur de Rebecca, et l’éloignement de la vieille fille à pardonner à son neveu ce mariage inconsidéré.

Sous ce rapport, Rebecca ne partageait point les idées de la demoiselle de compagnie, et conservait bon courage. Miss Crawley refusait quant à présent tout pardon : soit ; mais tôt ou tard elle finirait par se radoucir. Et d’ailleurs, d’autre part, qu’y avait-il entre Rawdon et le titre de baronnet ? Le maladif et souffreteux Pitt Crawley. Quelle faculté de médecine aurait osé répondre de lui ! Avoir mis au grand jour les ténébreuses menées de mistress Bute, avoir attiré sur elle les soupçons était une douce satisfaction pour Rebecca, et cette manœuvre ne pouvait d’ailleurs que tourner à l’avantage de Rawdon. Rebecca, après une heure de causeries intimes avec miss Briggs, ralliée désormais à sa cause, la quitta au milieu des plus tendres protestations d’amitié, et parfaitement convaincue que dans une heure au plus tard, miss Crawley saurait par le menu tout ce qui venait de se dire.

Après cette entrevue, Rebecca retourna en toute hâte à son hôtel. Déjà la société des jours précédents s’y trouvait réunie pour un déjeuner d’adieu. À voir Rebecca et Amélia étroitement embrassées au moment de la séparation, on aurait dit deux sœurs tendrement unies. Mistress Crawley tira grand parti de son mouchoir pour les effets dramatiques ; elle se suspendit au cou de son amie comme si elle n’avait plus dû la revoir, et de sa fenêtre, tandis que la voiture s’éloignait, elle agita son mouchoir qui, du reste, était parfaitement sec. Après cette petite pantomime, elle vint reprendre sa place à table, et mangea de très-bon appétit pour une femme émue. Tout en épluchant ses sauterelles, elle instruisit Rawdon du résultat de sa promenade matinale. Ses espérances étaient en hausse ; elle fit partager sa manière de voir à son mari : c’était en général l’habitude, et, soit que ses opinions fussent tristes ou gaies, son mari finissait toujours par voir comme elle.

« Allez, lui dit-elle, mon cher ami, vous mettre à ce pu-