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miss Crawley a donné asile à l’orpheline délaissée ; non, non, bien qu’elle m’ait bannie de sa présence, jamais je ne cesserai de l’aimer ; ma vie est à elle ; sur un signe de sa part, je suis prête à lui en faire le sacrifice. Comme ma bienfaitrice, comme la tante de mon bien-aimé Rawdon, chère miss Briggs, miss Crawley domine dans ma tendresse et ma vénération mes sentiments pour toute autre femme ; immédiatement après elle, mes affections s’adressent aux personnes qui lui donnent tant de preuves de fidélité. »

Il n’y avait que cette astucieuse et intrigante mistress Bute pour traiter, comme elle l’avait fait, les cœurs dévoués à cette chère demoiselle.

« Tenez, continua Rebecca, mon Rawdon, qui est si bon, malgré la rudesse et la brusquerie de ses manières, m’a dit mille fois les larmes aux yeux qu’il bénissait le ciel d’avoir mis auprès de sa chère tante deux femmes, deux anges, comme l’excellente et dévouée Firkin, comme l’admirable miss Briggs. »

Dans le cas où, à l’aide de ses menées ténébreuses, l’abominable mistress Bute, suivant les craintes encore trop bien fondées de Rebecca, parviendrait à écarter tous ceux qui avaient la confiance de miss Crawley pour faire de cette pauvre femme la pâture des harpies du presbytère, Rebecca priait miss Briggs de se souvenir que sa maison, toute modeste qu’elle était, serait toujours ouverte pour elle.

« Chère amie, s’écriait-elle dans un transport d’enthousiasme, il est des cœurs pour lesquels le souvenir d’un bienfait est éternel ! Toutes les femmes ne sont pas des Bute Crawley ! Mais après tout, dois-je me plaindre d’elle, dois-je me plaindre d’avoir été l’instrument et la victime de ses artifices, puisque sans elle je ne serais point devenue la femme de Rawdon ? »

Alors Rebecca découvrit à Briggs les ruses et les fourberies de mistress Bute à Crawley-la-Reine ; jusqu’alors elle n’avait pu saisir les fils cachés de sa conduite ; mais les événements actuels les lui faisaient toucher du doigt, après avoir par mille artifices allumé une flamme réciproque, après avoir fait tomber deux innocents dans les filets qu’elle leur avait préparése, mistress Bute les avait conduits par l’amour et le mariage à la ruine la plus complète.

C’était d’une vérité palpable, et tous ces stratagèmes sau-